PERTURBATEURS ENDOCRINIENS
L'émergence du concept de perturbateur endocrinien
Avant de présenter les résultats des recherches entreprises sur ces molécules, il est utile d'examiner comment le concept de perturbateur endocrinien a émergé. Ce sont principalement deux lignes de recherche très différentes qui ont permis aux scientifiques de réaliser que de très petits changements dans l'activité des systèmes endocriniens pouvaient avoir des conséquences graves en termes de reproduction, de comportement ou de physiologie.
Le premier axe concernait l'influence des hormones sur l'établissement du comportement chez la souris. Dans les années 1970, un chercheur américain, Frederick Vom Saal, a observé deux types de mères chez la souris : des « bonnes » mères, attentives à leur progéniture, qui formaient la majorité de la population, et des « mauvaises » mères, plus agressives et présentant plus de capacités d'exploration de leur environnement (fig. 2). Il a pu relier les différences de comportement de ces souris adultes à leur position dans l'utérus au cours de l’embryogenèse. Ce chercheur a démontré que les mauvaises mères étaient en fait des femelles qui, par hasard, s'étaient retrouvées entre deux mâles dans l'utérus. Ces femelles ont alors été exposées aux androgènes, l'hormone responsable de la mise en place des comportements agressifs chez les mâles. Au contraire, les bonnes mères étaient des femelles localisées entre deux femelles ou entre un mâle et une femelle et donc exposées à des quantités moindres d'androgènes. Frederick Vom Saal a mesuré la quantité (infime, de l'ordre de 0,2 picogramme, soit 0,2 × 10–12 gramme) d'androgènes à laquelle les femelles situées entre deux mâles étaient exposées et a pu montrer expérimentalement que cette quantité avait effectivement cet effet. En étudiant de plus près ces mauvaises mères, il a pu mettre en évidence toute une série de différences anatomiques, physiologiques et comportementales avec les autres femelles. Ainsi, une très petite différence dans les concentrations d'androgènes lors de la grossesse se traduit par des différences anatomiques et comportementales importantes et permanentes chez l'adulte. Il s'agit d'une indication claire qu'une infime altération de l'équilibre hormonal lors du développement d'un individu peut avoir de fortes conséquences bien longtemps après.
Le second exemple à l'appui du concept de perturbation du système endocrinien est une histoire beaucoup plus tragique : celle du diéthylstilbestrol ou DES (substance commercialisée en France sous le nom de distilbène), un médicament qui a été utilisé chez les femmes enceintes, surtout dans les années 1950 et 1960, pour éviter les fausses couches. On estime que cette substance a été administrée à environ 1 p. 100 des femmes enceintes pendant cette période, ce qui représente probablement 1 à 2 millions de femmes exposées aux États-Unis et environ 200 000 en France. Dans les années 1970, on a observé qu'un cas rare de cancer, l'adénocarcinome du vagin, était lié à l'exposition au DES. Cependant, ce n'était pas les mères ayant pris le médicament qui ont été touchées par la maladie, mais leurs filles. On sait désormais qu'il existe une relation directe entre l'exposition prénatale au DES avant la septième semaine de grossesse et le développement de la maladie et que le risque de développer cette forme de cancer rare est vingt fois plus important chez les filles qui ont été exposées à cette substance. Par la suite, il a été montré que les garçons des femmes traités au DES présentaient également une anomalie des organes reproducteurs. Le DES a finalement été interdit en 1971 aux États-Unis, et en 1977 en France.
Deux leçons scientifiques importantes peuvent donc être[...]
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Écrit par
- Vincent LAUDET : professeur de classe exceptionnelle à l'École normale supérieure de Lyon, directeur de l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon, membre de l'Institut universitaire de France
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