BROOK PETER (1925-2022)
Vers un « théâtre premier »
Après une mémorable Tempête (1990) de Shakespeare, Peter Brook engage « le cycle du cerveau ». Son théâtre devient plus austère encore, réduit à presque rien afin de concentrer l’attention sur la singularité des patients dont la raison s’est effondrée et les relations avec le réel perturbées. Il signe ainsi deux spectacles qui font date : L’Homme qui (1993), d’après le neurologue et écrivain britannique Oliver Sacks (1933-2015), et Je suis un phénomène (1998), d’après le neurologue et psychologue russe Alexander Luria (1902-1977). Brook confirme ainsi son aptitude au renouvellement et son écoute à l’égard des mutations qui s’opèrent dans le monde.
Le théâtre de Peter Brook, depuis la création du CIRT, privilégie la référence à l’Afrique. Après Les Iks et L’Os, d’autres spectacles se succèdent : Woza Albert (1989), Le Costume (1999) et, enfin, SizweBanzi est mort (2006). À cela s’ajoute une « recherche théâtrale » consacrée à l’œuvre du mystique Tierno Bokar (2004 et 2009). Pour le metteur en scène, l’Afrique représente un monde à explorer, une situation à dénoncer, une magie à retrouver. Comment ne pas rappeler que les deux figures exemplaires du théâtre shakespearien, Prospéro et Hamlet, seront jouées par des acteurs noirs, respectivement par les Maliens Sotiguy Kouyaté et Bakary Sangaré ?
Sur le chemin qui conduit vers un « théâtre premier », Peter Brook a cosigné avec Marie-Hélène Estienne plusieurs spectacles inspirés par les expériences africaines et cités précédemment, ainsi que Battlefield (2015) qui reprenait des éléments du Mahābhārata, comme la lutte humaine entre les forces de vie et de destruction. Ensemble, ils ont également réalisé le texte et la mise en scène de The Prisoner (2018), parabole autour de la culpabilité. Après Shakespeare Resonance (2020), Peter Brook et Marie-Hélène Estienne présentent Tempest Project (2022), proposant un nouveau regard sur l’œuvre de Shakespeare, qui n’a cessé d’accompagner le metteur en scène.
Son travail a progressivement opéré un mouvement de concentration pour se diriger vers ce que l’on pourrait définir comme le « noyau du théâtre ». Son itinéraire artistique, marqué autant par des ruptures que par des retournements, l’a ainsi conduit vers ce qu’il cherchait, depuis son arrivée en France, au début des années 1970 : « le théâtre des formes simples ».
Peter Brook s’est éteint le 2 juillet 2022 à Paris.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Georges BANU : critique de théâtre, professeur émérite à l'université Paris Sorbonne
Classification
Médias
Autres références
-
BATTLEFIELD (mise en scène P. Brook et M.-H. Estienne)
- Écrit par Didier MÉREUZE
- 1 002 mots
- 1 média
Il est l’homme de l’espace vide. Du plateau nu, débarrassé de tout accessoire ou décor, à l'exception, parfois, d'un arbre, d'une chaise, d'un tapis. À 90 ans, Peter Brook demeure le grand maître d’un théâtre où le réel naît de l’imaginaire, où la vérité surgit de l’illusion....
-
HAMLET (mise en scène P. Brook)
- Écrit par Christian BIET
- 1 071 mots
« Qui est là ? ». C'est la première réplique d'Hamlet. C'était aussi le titre du travail de recherche présenté, il y a trois ans, par Peter Brook. « Qui est là », sur cette scène ? Et qu'est-ce qui est là ? Du théâtre, des corps, un corps en mouvement surtout, des mots proférés,...
-
OUBLIER LE TEMPS (P. Brook)
- Écrit par Raymonde TEMKINE
- 1 080 mots
Dans Oublier le temps (Seuil, Paris, 2003), initialement publié en anglais sous le titre Threads of Time (1998), Peter Brook retrace le parcours qui l'a conduit à devenir un metteur en scène connu et admiré dans le monde entier. Pour lui, « succès et argent ne valent pas la peine d'être atteints »....
-
TEMPEST PROJECT (mise en scène P. Brook et M.-H. Estienne)
- Écrit par Georges BANU
- 1 065 mots
En 1968, le Britannique Peter Brook (1925-2022) fut invité au théâtre des Nations par Jean-Louis Barrault, pouranimer un stage avec de jeunes acteurs de tous bords autour de Shakespeare. L'expérience tourna court en raison des événements qui agitaient Paris, etBrook présenta à la Roundhouse...
-
ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature
- Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ , Jacques DARRAS , Jean GATTÉGNO , Vanessa GUIGNERY , Christine JORDIS , Ann LECERCLE et Mario PRAZ
- 28 170 mots
- 30 médias
...symptomatique : sa théorie et sa pratique y ont presque toujours été soit mal comprises, soit déformées, même par des hommes de théâtre aussi distingués que Peter Brook et Peter Hall, ou par Edward Bond, qui déclare que « ce qui se rapproche le plus d'une pièce de Brecht, c'est le mélodrame... -
DIOP BIRAGO (1906-1989)
- Écrit par Jean-Louis JOUBERT
- 301 mots
Les morts ne sont pas sous la terre : / ils sont dans l'arbre qui frémit, / ils sont dans le bois qui gémit, / ils sont dans l'eau qui coule, / ils sont dans l'eau qui dort, / [...] les morts ne sont pas morts.
Ces vers souvent récités, où se condense le vieil animisme africain,...
-
GIELGUD ARTHUR JOHN (1904-2000)
- Écrit par Didier MÉREUZE
- 731 mots
Né le 14 avril 1904, fils de financier, annobli en 1953, sir Arthur John Gielgud grandit dans le quartier huppé de Kensington. Son père aurait aimé qu'il suive ses traces. Mais, en digne descendant, par sa mère, d'une lignée ininterrompue d'acteurs depuis le xviiie siècle et en...
-
KOUYATÉ SOTIGUI (1936-2010)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 369 mots
Acteur et dramaturge d'origine malienne, Sotigui Kouyaté fut l'un des comédiens les plus respectés d'Afrique de l'Ouest. Il s'est fait connaître du public occidental pour avoir incarné le sage Bhishma dans l'adaptation du Mahabharata que donna Peter Brook, avec la...
- Afficher les 7 références