EISENMAN PETER (1932- )
Le jeu des formes
Ce tissage de motifs hétérogènes, entrepris dès ses premiers projets de maison (HousesSeries, 1967-1983), permet d’identifier un mode opératoire récurrent à l’intérieur de son œuvre : lediagramme, au sens que Charles S. Peirce et surtout que Gilles Deleuze donnent à celui-ci, c’est-à-dire un jeu combinatoire ou manipulatoire, indéterminé – mais pas aléatoire – de signes, de traces puis d’index qui produit des séries de marquages, d’empreintes ou d’interstices (interstitialspace), laissant apparaître un canevas spatial au sein duquel des formes d’expériences architecturales inédites ou bien jusque-là refoulées sont de nouveau possibles. Chaque croisement inaugure un processus de conception spécifique – transformation, décomposition ou fictions excavatrices – auquel correspond un complexe diagrammatique particulier. Chacun de ces complexes comprend lui-même des opérations distinctes. Celles-ci sont identifiées avec des termes propres : Scaling, Folding, ou encore Tracing ou Marking. Chaque famille de croisement caractérise une période donnée du travail d’Eisenman, pouvant être successivement identifiée, comme l’anti-fonctionnalisme (de 1967 à 1975), l’anti-humanisme (de 1975 à 1980) et les fictions (de 1980 à 1988). À partir des années 1990, les procédures changent, mais les principes conceptuels s’appliquant au diagramme restent les mêmes.
Pour Eisenman, le sujet universel s’est déplacé vers un univers singulier, individuel et incertain, qui correspond à l’expression légitimement anti-humaniste et fragmentaire (immanente) de notre société issue de l’Holocauste et de l’arraisonnement de la technologie tel que le pense Heidegger. Ce caractère fictif et relatif de l’architecture permet à Eisenman de clore sa critique du modernisme et des grands récits qui véhiculaient l’idée de présence en architecture. Il est maintenant possible de penser que la forme de l’architecture peut se déterminer à partir d’axiomes relatifs à la constitution de la forme elle-même. Elle n’est pas uniquement une adaptation des usages ou des idées issus des besoins fonctionnels et culturels de « l’homme », ce dont témoigne l’ensemble de ses projets depuis la réalisation des HousesSeries jusqu’au mémorial de la Shoah de Berlin, en passant par le projet qui le fit connaître sur le plan international, le Wexner Center for the Visual Arts situé à Columbus (Ohio, 1983). L’ultime fonction de la démarche architecturale « conceptuelle » et critique d’Eisenman est une tentative de redéfinir le sens de l’architecture, de sa structure, de ses fondements et de sa temporalité.
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Écrit par
- Alexis MEIER : docteur en philosophie de l'art et en théorie architecturale, architecte, maître de conférences des Universités
Classification
Média
Autres références
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ARCHITECTURE CONTEMPORAINE - Une architecture plurielle
- Écrit par Joseph ABRAM , Kenneth FRAMPTON et Jacques SAUTEREAU
- 11 661 mots
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...pas la même importance au monument et à la continuité spatiale de la ville traditionnelle. En premier lieu, le groupe new-yorkais des Five Architects – Peter Eisenman, Charles Gwathmey, Michael Graves, John Hejduk et Richard Meier – qui entreprit vers 1966 la création d'œuvres néo-rationalistes visant...