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EÖTVÖS PÉTER (1944-2024)

Un langage individualisé

Dès ses premières compositions vraiment personnelles, Péter Eötvös s'intéresse au langage parlé et à sa traduction musicale. Il pense que le matériau vocal peut naître de la fragmentation et de l'atomisation d'un texte : le signifié est alors annulé au profit de la transmutation des sonorités et de la création d'un matériau acoustique. Il exploite ce procédé dans Märchen (« Conte »), pour voix seule sur bande magnétique (1968), élaboré au studio de musique électronique de la Westdeutscher Rundfunk : la voix récite un conte hongrois en trois vitesses superposées, créant par là un canon temporel.

Endless Eight I (1981), écrite pour la petite formation du Chœur de Radio-France, a comme point de départ « le carré magique avec huit notes et huit mélodies ». Retravaillée, elle donne naissance à Endless Eight II-Apeiron musikon (1988-1989), qui utilise un double chœur mixte, deux percussions – l'une liée au chœur, l'autre aux solistes vocaux –, et un synthétiseur programmé en chœur artificiel. Il y a dans cette pièce démultiplication des matériaux, des espaces et des temps : en la composant, Eötvös applique à la musique instrumentale certains procédés de l'électroacoustique et sa science des instruments alimente sa production sur bande magnétique, montrant par là une évidente volonté de syncrétisme de ces deux mondes sonores.

En 1986, l'Ensemble InterContemporain lui commande Chinese Opera, pour 28 instrumentistes et bande, créé cette même année. Dans cette pièce, le compositeur explore toutes les possibilités des instruments : refusant de se soumettre à des sons déjà entendus, il y exprime sa fascination pour les sons proprement inouïs. Ce qui attire Eötvös, c'est la matière du son, son grain, sa résistance ; c'est la transmutation du son, selon lui organisme vivant, qui retient l'attention de l'auditeur.

La musique ne pouvait échapper à la révolution technologique. Eötvös l'a bien compris, qui a axé ses recherches à l'IRCAM sur le rapport entre l'invention musicale du compositeur et la machine : « Le dernier grand développement du xxe siècle a couronné les instruments de percussion, et c'est maintenant le tour des instruments électroniques ; j'espère ainsi développer les haut-parleurs jusqu'à obtenir d'eux une qualité de stradivarius pour, entre autres, restituer les sons nouveaux. »

À chaque nouvelle composition, une nouvelle expérience : « un langage musical individualisé pour chaque partition », revendique-t-il. Dans DreiMadrigalkomödien, pièce commencée dès 1970 mais qu'il ne termine que vingt ans plus tard, Eötvös nous ouvre les portes d'un univers sonore inédit, construit parallèlement à une réflexion théorique : « J'ai tenté une autre expérience : celle d'utiliser le parlé pour élaborer un langage absolument musical. Ce qui apparaissait comme le comble pour un madrigal actualise en fait le principe même du madrigal, qui consiste à permettre aux gens de comprendre et de s'amuser avec le texte. »

Reprenant ce concept de « musique parlante », mais avec un objectif inversé, il compose un quatuor à cordes, Korrespondenz (1992), « scènes pour quatuor à cordes » qui se présente comme la matérialisation musicale d'un dialogue verbal, imaginé par le compositeur, entre Leopold Mozart et son fils Wolfgang. « La forme s'inspire de celle du texte et les différents paramètres se calquent sur la prononciation verbale. La partition inscrit ce dialogue sous la musique mais l'auditeur ne peut qu'imaginer ce que déclame la musique. »

La recherche de nouveaux matériaux a évidemment pour conséquence l'élaboration d'un instrumentarium. Psychokosmos, pour cymbalum et orchestre (1993), est ainsi caractéristique du[...]

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Écrit par

  • : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Média

Péter Eötvös - crédits : Brill/ ullstein bild/ Getty Images

Péter Eötvös