ESTERHÁZY PÉTER (1950-2016)
Un père superlatif
Avec son roman Une femme (1993, trad. franç. 1998), Péter Esterházy explore la relation à l'Autre à travers un savant jeu de construction par fragments. En apparence, il s'agit de variations sur le même thème – celui de la femme aimée ou détestée, de son corps désirable et répugnant à la fois. Mais derrière cette femme, dont le portrait se précise et se déforme au fur et à mesure des quatre-vingt-dix-sept courts textes qui constituent le roman, on devine d'autres femmes, toutes les femmes, une mère, une amante, un homme qui aime comme une femme, une « Autre » dont les traits restent incertains... L'amour – ou le récit de l'amour – devient alors une partie d'échecs, un système d'équations à inconnues variables. Grand admirateur de Bohumil Hrabal, de Wittgenstein et de Camus, Esterházy souligne, à travers ce récit crypté, combien sa vie s'est toujours passée dans des espaces clos, régis par des lois qu'on définit et qu'on modifie pour en faire jouer le sens. Ce livre, qui peut sembler formaliste, n'en orchestre pas moins les modulations de l'amour et du désir.
Harmonia Caelestis (2000, trad. franç. 2001) trace deux voies superposées qui serpentent à travers trois siècles d'histoire. Dans la première partie, et sur plus de trois cent cinquante courts chapitres, « Phrases numérotées de la vie de la famille Esterházy », l'auteur pastiche avec humour les genres, les tons et les styles qui, à différentes époques, ont pu accompagner la chronique de sa famille, fameuse entre toutes. Le second volet du livre, plus court (201 mini-chapitres), s'intitule « Les Confessions d'une famille Esterházy ». Il se caractérise par un parti plus linéaire et, sur un mode nettement plus grave, relate l'histoire de sa famille depuis la prise de pouvoir par les communistes. Il s'agit là d'un livre qu'un fils adresse à son père, et, à travers lui, aux pères de son père – une œuvre à la fois limpide et mystérieuse.
Le livre qui suit va faire l'effet d'une bombe : en effet, la déclassification des archives du régime communiste amène l'écrivain à découvrir que le père adulé avait été, pendant plus de vingt ans, un informateur de la police politique hongroise. Le fils déchiffre alors tous les rapports écrits par son père, et tient son journal en parallèle. Ainsi naît Revu et corrigé (2002, trad. franç. 2005), fugue littéraire où s'entrelacent les extraits provenant des rapports envoyés à la police politique – imprimés en brun – et les commentaires – en noir – de Péter Esterházy. Si Harmonia Caelestis était un hymne d'amour filial, Revu et corrigé est l'histoire d'une douloureuse trahison, une œuvre teintée de dégoût cynique, d'ironie désespérée, mais aussi d'une infinie tendresse. Avec Pas question d’art (2012), l’écrivain revient cette fois sur la figure de sa mère et sur sa propre identité de fils.
Péter Esterházy meurt à Budapest le 14 juillet 2016.
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Écrit par
- Fridrun RINNER : professeur des Universités
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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Autres références
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HARMONIA CÆLESTIS (P. Esterházy)
- Écrit par Jacques LE RIDER
- 936 mots
- 1 média
Dans la magnifique floraison de la littérature hongroise d'aujourd'hui, se détache l'œuvre puissante et originale de Péter Esterházy. Depuis Trois anges me surveillent (1989), Le Livre de Hrabal (1990), Une femme (1998) et L'Œillade de la comtesse Hahn-Hahn - en descendant le Danube...
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HONGRIE
- Écrit par Jean BÉRENGER , Lorant CZIGANY , Encyclopædia Universalis , Albert GYERGYAI , Pierre KENDE , Edith LHOMEL , Marie-Claude MAUREL et Fridrun RINNER
- 32 134 mots
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Petér Esterházy (1950-2016) est l'auteur le plus populaire parmi les écrivains de la jeune génération. Il élabore dans ses romans une vision du monde complexe et originale. Son goût de l'ambiguïté et du jeu permet de multiples lectures et rend ses romans accessibles à de nombreux publics, cependant que...