HIGGS PETER (1929-2024)
La découverte du « mécanisme de Higgs »
Higgs aborde dans les années 1960 le domaine de la physique des particules élémentaires et s’intéresse à la description mathématique des symétries dans le cadre des théories quantiques qui pourraient décrire les interactions nucléaires. Le point de départ est un théorème démontré en 1961 par le théoricien britannique Jeffrey Goldstone (né en 1933) : dans le cadre de ces théories, respecter une symétrie « spontanément brisée » (c’est-à-dire uniquement brisée par la structure de l’état fondamental, appelé « vide ») impliquerait l’existence d’un boson de masse nulle. Le méson π, dont la masse est anormalement petite (7 fois moindre que celle du proton) apparaîtrait alors comme un « quasi-boson de Goldstone » associé à la symétrie chirale des interactions nucléaires fortes. Cette symétrie n’étant qu’approchée, le méson n’a pas une masse nulle. Le tour de force de Higgs est de déceler une lacune dans le raisonnement de Goldstone lorsque des champs de jauge, comme le champ électromagnétique, sont couplés au système physique : le boson acquiert alors naturellement une masse non nulle. En juillet et août 1964, Higgs dévoile ses résultats dans deux courts articles titrés « Symétries brisées, particules de masse nulle et champs de jauge » et « Symétries brisées et masses des bosons de jauge ». Comme il doit s’absenter pour quelques jours, il laisse une note sur le bureau d’un collègue qui doit bientôt revenir de vacances : « Cet été, j’ai eu la seule idée vraiment originale que j’aie jamais eue. » Ce mécanisme théorique, dénommé depuis lors « mécanisme de Higgs », est proposé de façon indépendante et quasi simultanément par les physiciens belges Robert Brout (1928-2011) et François Englert (né en 1932). Alors que Higgs avait en tête la description des interactions fortes pour lesquelles son mécanisme ne s’applique pas, son résultat est utilisé avec succès dès 1967 par Steven Weinberg (1933-2021, Prix Nobel 1979 avec Sheldon Lee Glashow et Abdus Salam) dans la première tentative de description moderne des interactions nucléaires faibles, qui mènera à ce qu’il est convenu d’appeler le modèle standard des interactions fondamentales.
La signature expérimentale du mécanisme de Higgs est la nécessaire existence d’un boson de spin nul, couramment appelé « boson de Higgs », couplé à toutes les particules élémentaires (bosons de jauge W et Z, quarks et leptons) avec une intensité proportionnelle à leurs masses. La découverte, au Cern en 2012, d’une particule de masse 130 fois supérieure au proton, qui semble posséder ces caractéristiques, a donné au comité Nobel l’occasion de couronner Englert et Higgs en 2013. Les études expérimentales récentes ont conforté cette interprétation ; on s’interroge cependant s’il existe d’autres bosons de Higgs encore non identifiés, qui seraient associés à un modèle différent permettant de comprendre les énigmes (comme les masses non nulles des neutrinos, qui contredisent le « modèle standard ») qui restent attachées au monde des particules élémentaires.
Physicien discret au nombre de publications très restreint, Higgs a consacré après 1965 la plus grande part de ses activités professionnelles à l’enseignement. Il a répondu avec humilité et même timidité à l’octroi de la distinction enviée qu’est le prix Nobel, lui reprochant de l’empêcher de vivre aussi discrètement qu’il le désirait. Il s’est éteint le 8 avril 2024 à Édimbourg.
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Écrit par
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
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