SELLARS PETER (1957- )
Trublion des scènes de théâtre et d'opéra, Peter Sellars a, comme tous les enfants terribles, les défauts de ses qualités : il est précoce et prolifique, excessif et éclectique, ludique et lumineux ; il suscite l'agacement et l'admiration, l'enthousiasme et l'exaspération. Au risque de la controverse, son actualisation des classiques, en particulier, lui attire autant de huées que de hourras, autant de reproches d'irrévérence que d'éloges quant à sa capacité de revitalisation. Mais entre « déconstruction » postmoderne et « destruction » iconoclaste (Andreï Serban), sa démarche s'inscrit surtout dans une forme d'engagement qui s'emploie à réveiller la portée politique de la poésie pour provoquer le spectateur et réactiver le pouvoir de la culture dans la société.
Une esthétique polymorphe
Né en 1957 à Pittsburgh, Peter Sellars est venu à la mise en scène par le biais des marionnettes, en rejoignant les rangs de la troupe Margot Lovelace dès l'âge de dix ans. Pendant ses études secondaires puis ses années à Harvard, il monte des dizaines de pièces, dont une version condensée du Ring de Wagner pour acteurs et marionnettes, un Revizor en hommage direct à Meyerhold, un Antoine et Cléopâtre joué dans une piscine, un Roi Lear où l'effritement de la puissance du souverain est symbolisé, au cours de la représentation, par le démantèlement d'une limousine de prestige. Dans cette pièce, il tient lui-même le rôle du personnage éponyme, comme il jouera plus tard celui de William Shakespeare Junior, cinquième du nom, dans l'adaptation cinématographique de Jean-Luc Godard.
Déjà, il fait figure de prodige et de franc-tireur, ce qui lui vaut à la fois une ascension rapide et une déconvenue de taille : nommé à la tête de la Boston Shakespeare Company, il y reste un an (1983-1984) puis se voit proposer la direction de l'American National Theatre à Washington. Là, à l'image de ce qu'ont réalisé Harold Clurman puis Hallie Flanagan dans les années 1930 aux États-Unis, ou Iouri Lioubimov plus tard au théâtre de la Taganka (où Peter Sellars a effectué un séjour émerveillé en 1983), il rêve de faire émerger un style proprement américain dans un lieu où se conjoindraient tous les genres, depuis les traditions du vaudeville jusqu'aux expérimentations de l'avant-garde. Mais devant la désaffection du public et les difficultés financières, il doit démissionner en 1986. L'année suivante, il est nommé directeur du Festival des arts de Los Angeles.
De ce désir inabouti d'un théâtre global, Peter Sellars conserve néanmoins le goût du pluralisme : au nombre de ses influences, il invoque aussi bien le kabuki et le bunraku que le cubisme, le constructivisme et l'expressionnisme (il monte Zanguezi de Khlebnikov en 1987 et réalise en 1991 un film au titre éloquent, Le Cabinet du docteur Ramirez) ; du côté de la culture américaine, il se réclame aussi bien de John Cage que de la comédie musicale, qu'il tient pour le troisième moment important de l'histoire des spectacles après le théâtre grec et le drame élisabéthain. Et bien qu'il se soit fait démettre, en 1983, de ses fonctions de metteur en scène de My One and Only, d'après Funny Face de Gershwin, il ne cesse de revenir à cette forme d'expression artistique : c'est elle qu'il retrouve dans le précédent britannique du Mikado (1983), elle aussi qu'il perpétue dans ses collaborations avec le compositeur John Adams : Nixon in China (1987), fondé sur la rencontre historique entre le président américain et le Grand Timonier, The Death of Klinghoffer, « scoop-opéra » tiré du détournement de l'Achille Lauro (1991), I WasLooking at the Ceiling and then I Saw the Sky, fresque en chansons sur les jeunes laissés-pour-compte du paradis californien[...]
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Écrit par
- Frédéric MAURIN : agrégé de l'Université, maître de conférences à l'université de Caen
Classification
Média
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