SLOTERDIJK PETER (1947- )
Né en 1947, le philosophe allemand Peter Sloterdijk enseigne depuis 1992 à la prestigieuse Hochschule für Gestaltung, à Karlsruhe. Sa pensée a retenu l'attention dès la parution en 1983 de son premier grand ouvrage, la Critique de la raison cynique. Plusieurs recueils d'essais et d'entretiens avaient ensuite élargi son audience. Mais c'est la publication dans l'hebdomadaire Die Zeit en septembre 1999 d'une petite conférence mal comprise et récupérée par des médias avides de scandale, Règles pour le parc humain : une lettre en réponse à la Lettre sur l'humanisme de Heidegger, qui a suscité le débat autour de son œuvre et, paradoxalement, sa véritable découverte. Il y proposait une réflexion profondément renouvelée sur la génétique, l'humanisme et les menaces contemporaines d'ensauvagement de l'homme. Il s'est ensuite imposé avec une trilogie monumentale intitulée Sphères (1998-2005), une histoire philosophique de l'humanité. Depuis lors, il a noué en France un dialogue fécond avec une multitude de penseurs, de Bruno Latour à Régis Debray en passant par Jean Baudrillard.
Ayant choisi ses sources philosophiques dans l'œuvre de quelques maîtres – Nietzsche ou Heidegger, pour l'Allemagne, Foucault, Derrida, Deleuze pour la France –, Sloterdijk ne centre pas son travail sur la construction d'un système conceptuel, mais sur un contact philosophique constant avec le réel. Sphères se propose ainsi rien de moins que d'écrire une histoire philosophique de l'humanité à travers ses différents modes de constitutions d'espaces communs, depuis la dyade primitive formée par Dieu et l'individu jusqu'aux « écumes » de la société contemporaine, accumulation d'alvéoles où vivent des singles, terme anglais choisi par Sloterdijk pour désigner les célibataires, placés sous tension émotionnelle permanente. Son dernier ouvrage paru en 2005, L'Espace du monde intérieur du capitalisme (2005), se lance dans une histoire philosophique de la globalisation, dont il situe le commencement en 1492 et le terme en 1945 ou 1974, dates qui marquent selon lui la fin de « l'épisode européen » et l'entrée dans l'« Âge global ».
La pensée de Peter Sloterdijk est indissociable de son style. Dès ses premiers livres, il se démarque nettement du maniement mathématisant des concepts qui caractérise une tradition philosophique allemande allant de Kant à Heidegger. La philosophie, chez lui, se conçoit toujours comme récit, et en a à ce titre les caractéristiques : élan lyrique, rhétorique littéraire, effets de styles donnent forme à sa pensée, en caractérisent le flux et lui donnent une vitalité qui persuade beaucoup de lecteurs et excède les rigoristes. Cela vaut aussi bien pour cette sorte d'apologie du bonheur qu'était sa Critique de la raison cynique que pour ses deux livres d'entretiens, Essai d'intoxication volontaire (1996) et Ni le soleil ni la mort (2001). C'est là, sans doute, dans la conversation « à bâtons rompus », que son mode de pensée se déploie avec le plus de lyrisme et colle au plus près à la réalité du monde contemporain : la création de sphères artificielles, serres où règne la « gâterie » et où l'homme peut s'élever à l'abri des aléas du monde, la nécessité pour l'Europe de repenser son rôle intellectuel face à « l'empire » américain, pour ne citer que deux de ses thèmes. Sloterdijk prolonge d'ailleurs ce dialogue dans une émission bimensuelle à la télévision allemande, le Quatuor philosophique.
Peter Sloterdijk a d'emblée rompu avec le moralisme unanimiste de l'école de Francfort. À plusieurs reprises – rejoignant en cela tout un pan de la philosophie française –, il a soumis l'humanisme classique, jusqu'à et y compris Heidegger, à un examen critique.[...]
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Écrit par
- Olivier MANNONI : traducteur
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BIOPOLITIQUE
- Écrit par Frédéric GROS
- 1 816 mots
- 2 médias
...immanentes et créatrices des puissances de vie. On pourrait citer également, bien que son auteur n'emploie pas directement le terme de biopolitique, l'essai de Peter Sloterdijk (Règles pour le parc humain, 1999) qui déclencha une forte polémique en Allemagne. Il s'agit cette fois de penser la politique comme...