SMITHSON PETER (1923-2003)
Associé à son épouse Alison (1928-1993), avec qui il ouvrit une agence à Londres, en 1950, l'architecte Peter Denham Smithson, né à Stockton-on-Tees en 1923 et mort en 2003 à Londres, s'est affirmé comme un esprit combatif et critique dans le contexte de la reconstruction en Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. À partir du début des années 1950, son nom est lié à la mise en question des Congrès internationaux d'architecture moderne (C.I.A.M.) et à la création, en 1954, du groupe contestataire du Team Ten.
Deux domaines font de la Grande-Bretagne une référence dans l'immédiat après-guerre : la politique des villes nouvelles et celle des constructions scolaires. C'est là que Smithson s'illustre d'abord, avec l'école secondaire de Hunstanton dans le Norfolk. Conçu en 1949, achevé en 1954, l'édifice est fait de structures orthogonales en acier apparent, associées à des panneaux de brique et de verre ; les équipements techniques sont laissés visibles. Cette réalisation d'une grande rigueur est largement inspirée de l'Alumni Memorial Hall érigé à Chicago par Mies van der Rohe de 1945 à 1947. Opposé au choix d'une architecture pittoresque, Smithson prône une mise en valeur du matériau nu et revendique beauté technique et modernité du langage formel. Cette honnêteté dans la construction fait rétrospectivement de son bâtiment un manifeste du brutalisme en architecture. Mais l'austérité toute géométrique de l'ensemble, l'ossature lisible et le jeu de surfaces planes ne sont pas sans analogie avec l'architecture japonaise traditionnelle (en particulier avec le palais Katsura datant du xviie siècle, à Kyōto). Quant à la disposition symétrique du plan d'ensemble et à la mise en œuvre de proportions quasi palladiennes, elles ont été inspirées à Smithson par le livre de Wittkower Architectural Principles in the Age of Humanism, paru à Londres l'année même du projet.
L'œuvre de Smithson a été enrôlée sous la bannière du brutalisme en 1966, par Reyner Banham, dans The New Brutalism : Ethic or Aesthetic (Le Brutalisme en architecture. Éthique ou esthétique, Dunod, Paris, 1970). Si le brutalisme décrit un état d'esprit particulier des années 1950, marqué par certaines frustrations, par l'admiration pour Le Corbusier, par l'intérêt porté à l'art brut de Dubuffet, à la culture de masse et à une esthétique de la rugosité associée à une valorisation de la culture ouvrière, alors on peut dire que Smithson a parfaitement incarné ce mouvement dans le contexte britannique.
Manifestant son insatisfaction devant l'héritage du Mouvement moderne, l'architecte est en quête de modèles autres, fondés sur une critique des principes fondamentaux de la charte d'Athènes (habiter, travailler, se récréer, circuler), considérés comme trop rationalistes et inaptes à susciter des modes de vie communautaires. Smithson leur substitue sa propre échelle d'associations : the house, the street, the district, the city (maison, rue, quartier, ville). Concrètement, il remplace les unités autonomes de la charte d'Athènes par un modèle de croissance organique, avec des immeubles reliés entre eux, disposés en zigzag et inspirés des bâtiments à redents de Le Corbusier. Dans ses projets (Golden Lane dans l'East End à Londres en 1952, université de Sheffield en 1953, Haupstadt pour Berlin en 1958) et dans ses réalisations (l'ensemble dit « des Robin Hood Gardens », à l'est de Londres, de 1966 à 1972), il propose des immeubles stratifiés et complexes, dans lesquels les réseaux de circulation jouent un rôle décisif comme lieux de sociabilité. Ce sont les fameuses coursives ou street decks, ces rues intérieures suspendues, censées réintroduire dans l'espace les valeurs humanistes de l'identité, de[...]
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Écrit par
- Claude MASSU : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, directeur de l'École doctorale d'histoire de l'art
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