PÉTRARQUE (1304-1374)
Vaucluse : solitude et fécondité
De retour en Provence, cherchant à fuir la vie agitée et corrompue d'Avignon toute bruissante des souvenirs de ses années les plus frivoles, il élit domicile à quelques lieues vers l'est, dans la solitude de Vaucluse, aux sources de la Sorgue, lieu qui restera longtemps son refuge sacré, son Hélicon. C'est dans cette retraite qu'en 1340 lui parvient, à la fois de Paris et de Rome, l'invitation à recevoir la couronne de poète qu'il avait sollicitée, certes par ambition, mais aussi pour célébrer finalement, après mille ans d'injurieux oubli, le retour au culte des études littéraires et de la poésie. C'est pourquoi, du reste, il accorde sans hésiter la préférence au Capitole sur la Sorbonne et c'est là que, le 8 avril 1341 (après un examen solennel à Naples où il est reconnu digne de ce suprême honneur par ce roi ami des lettres qu'était Robert d'Anjou), il reçoit des mains du sénateur romain, Orso dell'Anguillara, la couronne de laurier qu'il va déposer en un geste symbolique sur la tombe de saint Pierre.
Ce que l'on a appelé la « crise » de Pétrarque suit de peu cet événement : après une nouvelle période de mondanités et de plaisirs en Avignon (en 1343 naît sa fille naturelle Francesca), il s'engage avec fermeté vers une voie plus recueillie et plus ascétique. Il paraît excessif de parler de conversion ou de crise, alors que tant de vers, parmi les plus anciens, portent la trace de ses angoisses morales et religieuses. Le tourment intérieur qui s'aggrava au cours des années – peut-être en partie à la suite de la décision de son frère, compagnon joyeux de ses anciennes débauches, de se retirer à la chartreuse de Montrieux (en Provence) – se réduit au fond à une lutte entre une foi religieuse sincère et l'impossibilité d'y adapter sa conduite, en refusant les séductions et les honneurs terrestres : situation qu'il analyse lui-même avec une impitoyable lucidité dans le Secretum meum (Mon Secret, 1342-1343) : « Plus d'une fois j'ai songé à secouer le joug ancien, mais il est fiché dans mes os... je mourrai au milieu de mes péchés, si le secours ne me vient pas du Ciel. » Plus que de crise, il serait donc juste de parler d'une évolution au sens moral et culturel du terme ; cette évolution l'amène à considérer comme coupable son amour pour Laure, fût-il chaste et uniquement tendu vers la conquête du Bien, parce qu'il l'incite à aimer le Créateur à travers sa créature et non l'inverse, et que par là il témoigne de son attachement à la Terre. Cette même évolution le conduit à dépasser les limites d'une admiration trop exclusive pour l'Antiquité et à prêter l'oreille à de nouveaux et plus convaincants accents. Dans le De vita solitaria (1346-1371), l'antinomie entre culture classique et culture chrétienne paraît presque entièrement résolue ; la solitude, ce grand mythe littéraire que Pétrarque a légué au monde humaniste et moderne, est pour lui le point de rencontre de l'otium litterarum des Anciens et de l'ascétisme chrétien, théorie qu'il développe dans le De otio religioso (Le Repos des religieux, 1347), où héros et maîtres à penser de l'Antiquité coudoient les prophètes, les saints et les Pères de l'Église. Ainsi le projet initial de De viris s'élargit-il, empruntant sa matière aussi bien à l'histoire sainte qu'à la profane.
Ces années voient se produire des événements qui ont joué un rôle primordial dans la vie et l'œuvre de Pétrarque : son enthousiasme désintéressé pour les rêves et les tentatives de Cola de Rienzo (1313 ou 1314-1354) pour instaurer un gouvernement populaire à Rome (attitude qui l'éloigne progressivement de la cure d'Avignon et l'amène en 1347 à rompre définitivement avec[...]
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Écrit par
- Vittore BRANCA : secrétaire général de la Fondazione Giorgio Cini, Venise, professeur à l'université de Padoue
- Françoise JOUKOVSKY : professeur émérite à la faculté des lettres de Rouen
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