PÉTRARQUE (1304-1374)
Modernité de Pétrarque
Pétrarque a occupé dans l'histoire de la poésie et de la culture de l'Europe chrétienne et moderne une place exceptionnelle : jamais peut-être écrivain n'exerça influence aussi décisive ni aussi prolongée ; cette influence ne se limite pas en effet au champ de la littérature, elle embrasse la vie morale et politique. Si cette « présence » a pu être à ce point efficace, c'est qu'elle n'a cessé de rayonner, par la parole comme par la plume, qu'elle s'est imposée par le truchement d'un enseignement rigoureux et éloquent, par une œuvre prodigieuse ainsi que par une inlassable activité d'« inventeur » des trésors de la science et de l'art antiques ; des textes que l'on croyait perdus ont été retrouvés par ses soins ; philologue rigoureux autant que délicat, il en a illuminé d'autres par une lecture pénétrante et originale.
Sa poésie sublime (ses Nugellae vulgares, bagatelles auxquelles il tenait, à preuve le zèle amoureux avec lequel il les a tout au long de sa carrière polies et repolies), ses profondes réflexions morales et spirituelles, sa connaissance à la fois analytique et synthétique de l'histoire, sa croisade passionnée en faveur des humanités, toute son œuvre gigantesque tend à un même but et l'atteint : apporter en le dépassant une solution au problème séculaire de la conciliation du monde antique et de la culture païenne avec le monde chrétien et la foi ; l'identité fondamentale des âmes humaines – découverte qu'il proclame avec force – lui est occasion constante à des retours au passé, à des rencontres, à des rapprochements, à des affirmations de vérités semblables, à des époques et sous des cieux divers. Les paroles de saint Augustin qui, au cours de l'ascension du mont Ventoux, flamboyèrent devant les yeux de son âme (« Les hommes s'en vont admirer les cimes des montagnes, l'immensité de l'océan, les révolutions des astres et ils se détournent d'eux-mêmes ») pourraient servir de devise à sa vie et à son art.
Depuis les grands moralistes de l'Antiquité, depuis les Pères de l'Église, personne peut-être n'avait témoigné pareille connaissance de l'homme, de ses misères et de ses grandeurs, personne ne s'était montré un champion aussi ardent de sa dignité et de sa vérité, un interprète aussi pathétique et subtil de son éternelle inquiétude, hors du sein de Dieu. « Je sens toujours quelque chose d'inassouvi en mon cœur », écrivait-il dans le Secretum, fidèle à la doctrine de saint Augustin. Aussi la figure de Pétrarque n'a-t-elle cessé de dominer de très haut cette école de pensée à qui l'homme a emprunté son nom, l'humanisme. C'est pourquoi également l'art qui exprime avec le plus de rigueur et de perfection les sentiments et les aspirations les plus constants et les plus élevés de l'homme passe nécessairement par Pétrarque, de Bembo à Michel-Ange et à Ronsard, de Góngora et Milton à Klopstock, de Shelley et Heine à Leopardi, Heredia et D'Annunzio.
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Écrit par
- Vittore BRANCA : secrétaire général de la Fondazione Giorgio Cini, Venise, professeur à l'université de Padoue
- Françoise JOUKOVSKY : professeur émérite à la faculté des lettres de Rouen
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