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PÉTRARQUE (1304-1374)

La diffusion du pétrarquisme en France

Phénomène européen, le pétrarquisme fait montre en Italie, en France ou en Angleterre d'une même complexité. Il se caractérise d'un côté par un succès qui en fait une mode, et qui impose un renouvellement constant – le pétrarquisme assagi des Rime (1530) de Bembo différant par exemple des recherches sophistiquées des quattrocentistes –, et d'un autre côté par des crises d'antipétrarquisme, dont témoignent les parodies italiennes de Berni, le poème de Du Bellay Contre les pétrarquistes, ou les réticences de Jodelle.

En France, la fortune de Pétrarque n'attend pas la Pléiade, comme l'attestent les adaptations de certains sonnets : six chez Marot, douze dans les Œuvres poétiques de Peletier du Mans (1547), et surtout la version de 196 sonnets du Canzoniere publiée en 1548 par Vasquin Philieul. Mais lorsqu'ils imitent, les prédécesseurs de Ronsard préfèrent la subtilité mignarde des pétrarquistes du Quattrocento. D'Antonio Tebaldeo proviennent des épigrammes de Marot sur l'incendie d'amour ou sur les effets du feu et de la neige. Serafino dall'Anquila inspire à Jean Lemaire de Belges le premier Conte de Cupido et d'Atropos, et dicte à Maurice Scève des variations sur le feu et les pleurs, le miroir et le regard. L'apport de la Pléiade est de puiser aussi dans le texte même de Pétrarque, ou chez ses imitateurs moins infidèles, Bembo et ses disciples, que nos poètes connaissent grâce aux Rime di diversi publiées à Ferrare (1545-1547). Elle aura également le mérite de composer des cycles d'une certaine ampleur, qui se succèdent à partir de 1549, date du premier canzoniere français, l'Olive de Du Bellay, et des Erreurs amoureuses de Pontus de Tyard. L'année 1552 voit paraître les Amours de Ronsard et les Amours de Méline de Jean-Antoine de Baïf, l'année 1553 les Amours d'Olivier de Magny, et la suite ininterrompue des recueils va répondre à l'engouement du public. Enfin la Pléiade a fixé les formes (genres et mètre) de cette imitation. Après la diversité des premiers essais, Ronsard impose sa prédilection pour le sonnet dit « marotique », dont les tercets sont construits sur trois rimes (CCDEED) à la façon de Marot, et non pas sur deux à la mode italienne. Les sonnets de la Pléiade sont d'abord en décasyllabes, mais l'alexandrin domine à partir de 1555. La Pléiade intronise d'autres genres pétrarquistes : la chanson, cette suite de strophes passée de Provence en Italie, la sextine, six strophes de six vers, introduite par Tyard, ou le madrigal. Compositions musicales, qui montrent bien que le pétrarquisme contribue à l'essor d'une poésie lyrique.

L'évolution postérieure correspond à une recréation incessante. À partir de 1570, le néo-pétrarquisme d'un Philippe Desportes (Premières Œuvres, 1573) est un jeu littéraire, dont les inventions galantes et les codes sont déterminés par le milieu fermé des salons aristocratiques, par exemple l'hôtel de Dampierre. Ronsard lui-même doit suivre ces goûts, et dans les Sonnets pour Hélène (1578) il traite parfois de menus sujets, envoi de fleurs ou premier jour du Carême. Mais dans le même temps apparaît un « pétrarquisme noir », au décor funèbre et aux visions sanglantes, dans le Printemps d'Agrippa d'Aubigné ou dans les poèmes d'Hesteau de Nuysement. Il préfigure le pétrarquisme baroque des années 1585-1600. Jean de Sponde ou S. G. de La Roque sont soumis au flux des métamorphoses, des apparences ou des songes, et les procédés stylistiques s'exaspèrent dans ce vertige de la mouvance.

Ces poètes n'ont cessé de réinventer le pétrarquisme, parce que Pétrarque lui-même les y invitait en valorisant l'acte de l'écriture. Certes le pétrarquisme est d'abord une façon de vivre l'amour, du[...]

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Écrit par

  • : secrétaire général de la Fondazione Giorgio Cini, Venise, professeur à l'université de Padoue
  • : professeur émérite à la faculté des lettres de Rouen

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Pétrarque - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Pétrarque

Autres références

  • CANZONIERE, Pétrarque - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 898 mots
    • 1 média

    Un des manuscrits qui contient le Canzoniere de Pétrarque (1304-1374) porte le titre en latin de Rerum vulgarium fragmenta (« fragments en langue vulgaire »). Non que ces 366 sonnets, chansons, sextines et ballades présentent le moindre signe d'inachèvement : Pétrarque désignait par...

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par et
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...employé de manière dépréciative, pour qualifier l'éphémère et partant le superficiel, la valeur étant dans ce cas associée à la durée, voire à l'éternité. C'est ainsi que Pétrarque (1304-1374), par exemple, appelait Modernes les doctes de son époque, trop imprégnés du latin de la scolastique et...
  • APELLE (IVe s. av. J.-C.)

    • Écrit par
    • 2 450 mots
    • 1 média
    ...ôter la main d'un tableau ». La Bibliothèque nationale à Paris possède une copie manuscrite de ce passage de Pline portant, en marge, les postillae que Pétrarque mettait aux livres de sa bibliothèque. Face à cette phrase, que l'on trouve aussi dans les Lettres de Cicéron et chez Pétrone, il indique...
  • GIOTTO (1266 env.-1337)

    • Écrit par
    • 3 177 mots
    • 6 médias
    ...obligatoirement. À la lecture attentive des documents, nous comprenons que ce genre de réaction n'est pas isolé. Déjà, en 1353, Boccace condamne l'attitude de Pétrarque qui refuse l'invitation officielle de la commune de Florence et accepte de se rendre à la cour des Visconti, à Milan. Un événement considérable...
  • RENAISSANCE

    • Écrit par , , et
    • 31 095 mots
    • 21 médias
    ...l'Église mais aussi Virgile, Ovide, Cicéron, et on s'inspire d'eux. Pourquoi donc qualifier de néo-latine la littérature qui naît avec Pétrarque, s'épanouit en Italie au xve siècle, brille au xvie siècle dans toute la chrétienté, donne encore de beaux fruits au xviie siècle,...
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