AVVAKUM PETROVITCH (1620/21-1682)
Une vibrante protestation religieuse
Les écrits d'Avvakum, copiés et recopiés par les fidèles, ne furent connus du monde savant que vers le milieu du xixe siècle. Ils n'ont qu'un but : défendre la foi. Mais le génie de l'auteur en fait des œuvres littéraires. Leur premier mérite est la langue. Avvakum, opposant qui en appelle au peuple, écrit son parler, le grand russien : couleur, rapidité, libre syntaxe, particules expressives, assonances. Toutefois, s'il hausse le ton, il use du slavon d'Église, qu'il vivifie en le mariant au russe.
Le style est parlé. L'invention y est perpétuelle : images, ellipses, apostrophes, dialogue intérieur, mises en scène, digressions. Les sentiments fusent : indignation, apitoiement, malédiction, prière, repentir. On passe du sérieux à l'ironie. Les textes sacrés voisinent avec des dictons. Avvakum discute avec Dieu.
L'homme surgit : vigueur physique et morale, foi solide au surnaturel, assurance en sa cause ; mais, aussi, raison exigeante, instruction étendue, conscience scrupuleuse, tendresse pour sa femme, ses enfants, dirigés et fidèles. Amour de la nature. Un bel équilibre.
Tous ces traits conviennent au chef-d'œuvre d'Avvakum, La Vie. Nous en avons l'autographe (1672) et deux versions récrites par lui. Dans le cadre hagiographique, elle a sa forte originalité. C'est un monument de la langue du xviie siècle. Aussi extraordinaires sont les dix Sermons de dates diverses, concrets, truculents, où ne manque pas l'humour. Dans une des six Suppliques, le captif de Pustozersk assigne le tsar au tribunal de Dieu ; dans toutes, il lui garde une amitié familière. Dans ses Lettres à Morozova, il est dur pour la rendre parfaite. L'Évangile éternel reflète ses débats théologiques avec un compagnon de geôle, le diacre Théodore.
Au xixe siècle, Avvakum a été traité d'ignorant et de fanatique par les apologistes de l'Église officielle. Ce jugement n'était pas fondé et il n'est plus énoncé. Pour des historiens positivistes ou marxistes, le raskol est la forme religieuse d'une protestation sociale. L'étude de ses débuts prouve qu'il est né d'une protestation religieuse ; s'il a pris une couleur sociale, c'est ensuite, du fait de son opposition à l'Église officielle.
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Écrit par
- Pierre PASCAL : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire de russe à l'université de Paris-Sorbonne
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