PHANTOM THREAD (P. T. Anderson)
Animer un monde clos
La réalisation du film est remarquable de bout en bout, grâce à la fluidité fonctionnelle permanente de son style. À commencer par sa photographie. Privé au dernier moment de son chef opérateur attitré, Robert Elswit, Anderson assura lui-même les éclairages du film. Ceux-ci sont toujours très signifiants, naturels pour les scènes du quotidien, nimbés pour les activités de couture, chaleureux pour les moments de confidence. Et le cinéaste, fidèle à son haut sens du mouvement, traque ses personnages, tantôt à l'aide de travellings latéraux ou panoramiques, indécelables en raison des nombreux déplacements très naturels des acteurs, tantôt au moyen d'imperceptibles zooms avant sur eux quand ils sont immobiles en train d’échanger des propos intimes. La caméra peut aussi s'impliquer plus fortement dans certaines situations pour permettre au spectateur de mieux les vivre de l'intérieur, comme c’est le cas lors du défilé des mannequins où elle couvre intensément tous leurs mouvements, ou lors du sauvetage de la robe de mariée endommagée où elle semble encourager les ouvrières, quelque peu paniquées par la situation, en les enveloppant d'un travelling circulaire du meilleur effet. Le découpage des plans se révèle tout au long du film d'une précision extrême et toujours parfaitement rythmé, aucun plan ne pouvant être anticipé. Particulièrement ceux qui, au sein de cette fluidité narrative, jaillissent pour souligner les deux grandes passions du couturier, artistique lorsque Anderson le montre en contre-plongée totale aidant son modèle à passer une robe, amoureuse quand le cinéaste, en plongée verticale, filme Alma et Woodcock en train de gravir l'escalier conduisant à leur future chambre commune. Un même soin est apporté à la musique, signée Jonny Greenwood, tout aussi sobre et intériorisée.
Point d'orgue du film, la qualité générale de l'interprétation : Daniel Day-Lewis, au sommet de son art, exprime le moindre trait psychologique de son personnage en focalisant son jeu sur des parties privilégiées de son physique (les yeux pour l'agacement, la bouche pour le charme, la chevelure pour la fatigue, la démarche pour l'interrogation). Sa jeune partenaire se montre constamment à son niveau, grâce à son attitude tout en retenue et fort nuancée. Sans oublier Lesley Manville, dans le rôle de la sœur de Woodcock, véritable patronne de la maison de couture, qui alterne magistralement froideur et amabilité. Phantom Thread, œuvre maîtresse de Paul Thomas Anderson.
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Écrit par
- Michel CIEUTAT : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg
Classification
Média