PHÉDON, Platon Fiche de lecture
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Le Phédon, ou Sur l'âme (Phaîdon è Peripsukhès, 385-370 av. J.-C.) appartient, avec La République, le Phèdre et Le Banquet, à l'ensemble des œuvres dites de la maturité de Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.). Phédon y relate la mort de Socrate (399 av. J.-C.), dont il fut le témoin, et rapporte ses derniers propos, sous la forme d'un ultime dialogue du maître aux prises avec deux contradicteurs principaux, Cébès et Simmias. Sans doute s'agit-il d'un testament, mais en un sens très particulier : la mort y apparaît comme l'épreuve de discernement de ce qu'est « vraiment un philosophe » (101e). C'est ici moins le contenu doctrinal qui importe que la méditation induite pour le lecteur ; et la figure léguée par Platon de l'homme Socrate, à l'instant de mourir : il sera désormais l'archétype du philosophe. « Socrate mourant » n'a cessé depuis de nous hanter, comme en témoignent les Essais de Montaigne, Le Concept d'ironie de Kierkegaard, Le Gai Savoir de Nietzsche – parmi tant d'autres...
Sur l'âme
« La mort, pensons-nous que c'est quelque chose ? – Oui, assurément, fut la réponse de Simmias. – Se peut-il qu'elle soit autre chose que la séparation de l'âme d'avec le corps ? C'est bien cela, être mort : le corps séparé d'avec l'âme en vient à n'être que lui-même en lui-même, tandis que l'âme séparée d'avec le corps est elle-même en elle-même ? » (64c-d). Le devenir du corps m'est connu, celui de l'âme, inconnu. Cébès rapporte la conception traditionnelle, celle d'Homère censurée par La République (III 386b), selon laquelle l'âme pourrait disparaître dans l'Hadès. Socrate lui oppose une croyance ancienne, celle de la réincarnation. L'âme serait ainsi le principe de permanence qui permettrait de penser la succession des vivants : vivre suppose de revivre (c'est le thème de la réminiscence). Simmias objecte que si l'on brise un instrument de musique (l'équivalent ici de l'élément corporel), on fait taire aussi la musique : admettre l'immortalité de l'âme, c'est supposer que l'accord musical (l'élément incorporel) subsiste en dehors de la lyre... Quant à Cébès, il considère que la réincarnation, c'est-à-dire la survie de l'âme, ne saurait se confondre avec son immortalité, car l'âme, pareille à un tisserand qui aurait tissé de nombreux vêtements, pourrait s'épuiser et mourir après avoir investi de nombreux corps... En d'autres termes, l'expérience de la réminiscence prouve la préexistence de l'âme, non son immortalité.
Il reste que connaître (c'est-à-dire faire l'expérience de la réminiscence, comme le montre le Ménon) c'est accéder à un ordre de réalité soustrait à la corruption et à la génération : l'ordre des idées ou des formes. L'immortalité échappe à la définition, en ce qu'elle ne constitue pas – à la différence du « beau » ou du « juste » – une de ces idées, mais seulement cette qualité qu'elles ont toutes, d'être « immortelles ». Inversement, les qualités des choses sensibles (belles, justes...) proviennent de leur participation à l'idée (du beau, du juste...). L'âme ne peut donc pas être dite immortelle au sens où elle participerait d'une idée de l'immortalité, accessible à la connaissance, mais, à la rigueur, au sens où elle participerait de la vie (105b-107a).
Socrate sait qu'il n'emporte pas totalement la conviction : il ne peut qu'encourager ceux qui l'écoutent à poursuivre la réflexion – non sans leur avoir fait part de son espérance que « ceux qui ont réussi à se purifier autant qu'il faut grâce à la philosophie vivent, pour[...]
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
Classification
Média
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