PHÈDRE (J. Racine) Fiche de lecture
Phèdre (1677) est certainement la tragédie la plus célèbre de Jean Racine (1639-1699). Après elle, Racine abandonna le théâtre pour devenir historiographe du roi. Auparavant, il avait dû affronter la querelle qui l'opposa à Pradon, auteur d'une autre Phèdre et Hippolyte (1677). Depuis cette date, presque toutes les grandes comédiennes françaises ont joué Phèdre et ont dû, à proprement parler, interpréter ce rôle brûlant : Marcel Proust s'en souviendra en créant le personnage de la Berma.
En reprenant un thème antique largement exploré par le théâtre et la littérature du xviie siècle, Racine semble faire le point sur ce qu'il entend par la passion : un état terrible, construit par le destin et auquel on ne peut résister.
La souffrance de Phèdre
Racine réutilise le procédé de Mithridate (1673) – le retour du roi qu'on croyait mort – comme axe essentiel du texte. C'est le moyen d'un renversement de situation qui intervient juste au milieu de la pièce. De part et d'autre de cet axe, Phèdre souffre. Dans la première partie, alors qu'elle croit son époux Thésée disparu, sa douleur vient de son amour incestueux pour son beau-fils Hippolyte, et de l'aveu qu'elle en fait à Œnone, sa nourrice et confidente : « J'ai conçu pour mon crime une juste teneur ;/ J'ai pris la vie en haine et ma flamme en horreur » (I, 3). Dans la deuxième partie, quand Thésée revient et qu'il fait de son amour un crime encore plus grand, son mal vient de sa jalousie et de la faute terrible qu'elle fait en laissant Œnone (excessivement attachée à sa maîtresse, objet d'horreur, être « bas » qui ne respecte ni les lois ni les valeurs) accuser indûment Hippolyte d'avoir violé sa maîtresse. La fausseté du langage, thème récurrent de l'œuvre de Racine, porte ses fruits : l'accusation truquée réussit et plonge les protagonistes dans un monde trouble, moins troublant pourtant que le langage vrai de l'héroïne, qui lui échappe en bouffées incontrôlables. Face aux fureurs amoureuses de Phèdre, Hippolyte et Aricie – la jeune princesse qu'il aime – n'opposent qu'un discours galant que la reine reprend, en réalisant les métaphores à la lettre : Phèdre est celle qui sent vraiment son corps « et transir et brûler », celle qui perd réellement l'esprit. Thésée, lui, se laisse prendre au piège des mots, maudit son fils, commande aux dieux de le punir : Hippolyte succombe au monstre marin envoyé par Neptune. Devant Phèdre qui se punit elle-même en s'empoisonnant, le roi ne peut que regretter et vouloir racheter son geste, en protégeant Aricie.
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias