PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA PERCEPTION, Maurice Merleau-Ponty Fiche de lecture
Brutalement interrompue par la mort, l'œuvre de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) reste dominée par une philosophie de la conscience, inspirée de la phénoménologie de Husserl, et dont la Phénoménologie de la perception (1945) constitue le livre majeur. Il ne s'agissait pourtant que d'un commencement : l'ouvrage appelait de lui-même, dans son dernier chapitre, un questionnement sur « le sens de l'histoire ». Le rôle de Merleau-Ponty dans la revue Les Temps modernes (dont il fut l'un des fondateurs), sa rupture avec Sartre en 1955, et l'influence qu'il a exercée sur des penseurs comme Claude Lefort donnent l'exemple d'une attitude philosophique à la fois engagée et critique vis-à-vis du politique. Élu au Collège de France en 1952, il semblait infléchir sa pensée vers une sensibilité de plus en plus grande à l'art et à la langue. La publication posthume de Le Visible et l'Invisible (1964) puis La Prose du monde (1969) met en évidence un mouvement d'autocritique que l'un des principaux interprètes actuels de sa pensée, Renaud Barbaras, comprend comme « échec » de la Phénoménologie de la perception et « mutation » en direction d'une pensée de l'être (ontologie).
L'être au monde
La Phénoménologie de la perception est la thèse d'État de Maurice Merleau-Ponty, dans la suite de son premier ouvrage, La Structure du comportement (1941), qui, à travers une approche philosophique des théories du comportement, renouvelait le problème ancien du dualisme de l'âme et du corps. Le comportement échappe à la fois au réductionnisme mécaniste (fondé sur une physiologie des réflexes) et au volontarisme de la conscience. Les deux livres font preuve de la même attention critique à l'égard des sciences, la Phénoménologie de la perception développant par exemple des analyses restées célèbres de pathologies (le membre fantôme, l'aphasie) et de la motricité. Il s'agit aussi de l'une des premières œuvres à témoigner de l'intérêt en philosophie pour la psychanalyse.
L'ouvrage est divisé en trois parties : « Le Corps », « Le Monde perçu », « L'Être-pour-soi et l'être-au-monde », précédées d'une Introduction qui marque l'importance de la notion de « champ phénoménal ». C'est par elle, en effet, que le dualisme traditionnel a une chance d'être dépassé ; c'est en elle que la « perception » refait l'unité des théories contraires de la « sensation » et du « jugement ». Largement, la psychologie dite scientifique est « réaliste », et la critique qu'on en fait « intellectualiste ». Il s'agit donc, à partir de la formulation des éléments implicites dans le travail scientifique, de reprendre l'opposition du sujet et de l'objet : en substituant au premier le « corps », entendu comme « corps propre » (corporéité) c'est-à-dire non comme corps au sens de la mécanique classique mais, bien au contraire, comme part éprouvée de l'extériorité, ou part objectivée de l'intériorité ; en préférant au second le « monde », c'est-à-dire non pas l'étendue abstraite de la géométrie, mais un lieu habité, vécu. C'est un « être au monde » qu'il faut décrire : l'analyse du corps s'achève par celle de la parole et du langage ; l'analyse du monde, par « autrui et le monde humain ». Le cogito est repensé comme « projet du monde » et le monde comme « lieu des significations » ; le rapport de l'un à l'autre se traduit, en référence explicite à Heidegger, dans la notion clé de « temporalité ».
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
Classification
Média
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