PHIDIAS (Ve s. av. J.-C.)
Les statues chryséléphantines
Ces œuvres en bronze, quelle qu'ait été leur qualité, n'auraient pas suffi à assurer la prééminence artistique de Phidias : elles participent du « style sévère » (480-450 av. J.-C.), qui voit s'établir la suprématie du bronze dans la sculpture grecque, une fois maîtrisée la fonte en creux à la cire perdue, qui permet seule des bronzes de grandeur naturelle. En fait, c'est la technique chryséléphantine, appliquée à des œuvres colossales, qui va mettre Phidias hors de pair. Il s'agit d'un assemblage de feuilles d'or et de pièces d'ivoire fixées sur une surface modelée, elle-même étayée par une charpente de bois intérieure – travail d'équipe très délicat, qui participe de l'ébénisterie et de l'orfèvrerie autant que de la sculpture proprement dite, et demande des investissements considérables, puisque les matériaux précieux – bois imputrescibles, ivoire pour les chairs et or pour le reste – doivent être importés. De telles commandes sont donc très exceptionnelles. La chance historique de Phidias est d'avoir été actif durant la période de prospérité qu'a connue la Grèce entre les guerres avec la Perse (490-479) et la guerre du Péloponnèse (431-404), qui allait affaiblir irrémédiablement les cités.
Des deux statues chryséléphantines colossales qu'il réalisa, seule celle d'Athéna Parthénos est sûrement datée. C'est pour abriter et mettre en valeur ce prodigieux ex-voto que le Parthénon fut construit, entre 447 et 438 avant J.-C., ce qui explique nombre de ses particularités architecturales. Il ne s'agit donc pas d'un temple, mais bien d'un gigantesque trésor, au sens grec d'édifice votif, mais aussi, au sens moderne, d'une réserve pour les fonds publics. La pièce arrière, qui a donné son nom au bâtiment, avait cette destination, et la statue de Phidias elle-même constituait, aux dires de Périclès, une ultime ressource : en cas de crise financière, on pourrait en détacher les feuilles d'or, quitte à les remplacer plus tard.
D'un type voisin de celui de la Promachos, la statue d'Athéna Parthénos, haute de 11,50 m sans son socle, incarne l'hégémonie qu'Athènes impose alors à ses alliés : la lance, le bouclier, le casque, la Victoire portée sur la main droite rappellent sa vocation guerrière, que semble démentir la sérénité de son attitude, dont le statisme, souligné par les plis verticaux et profonds du péplos, est peut-être commandé par des impératifs techniques. La profusion et la virtuosité des décors secondaires – sur le casque, où réapparaît le bestiaire fantastique du viie siècle : sphinx, pégases, griffons ; sur le bouclier, où étaient représentées, à l'extérieur l'amazonomachie athénienne et à l'intérieur la gigantomachie ; et jusque sur la tranche des semelles, où était figurée une centauromachie ; la richesse des bijoux – boucles d'oreilles, collier et bracelets – et des accessoires – égide ornée de têtes de serpent et frappée d'une tête de Méduse en ivoire ; ceinture aux extrémités en tête de serpent ; Victoire haute de près de 2 mètres tenant une couronne ; grand serpent lové contre le bouclier –, tout concourt à faire de cette statue une pièce montée hyperbolique, où l'on a quelque peine à déceler cet esprit classique dont Phidias passe traditionnellement pour avoir été l'initiateur. Sans doute la valeur idéologique très forte de l'œuvre explique-t-elle en partie cette inflation, que la qualité de l'exécution et de l'environnement architectural devait atténuer.
L'ampleur, la diversité et la minutie des travaux exigés par la réalisation de l'Athéna Parthénos rendent peu probable la participation directe de Phidias au décor sculpté du Parthénon, qu'on a pris[...]
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Écrit par
- Bernard HOLTZMANN : ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
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