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DELORME PHILIBERT (1514-1570)

Le champion d'un nouveau professionnalisme

Son souci de sécurité matérielle explique sans doute les tracasseries dont on l'importune ; il ne justifie pas la haine que certains lui portent. La raison en est ailleurs. Elle est dans la volonté de puissance qui habite Delorme, dans son opiniâtreté à hausser l' architecture au niveau d'un « art libéral », à imposer une profession nouvelle, celle d'architecte. Le terme, lorsqu'il apparaît au début du xvie siècle, appliqué à trois Italiens dont Léonard de Vinci, désigne celui qui détient un savoir théorique. Delorme exige davantage : l'architecte, homme universel, doit posséder non seulement les « lettres », c'est-à-dire le bagage philosophique et scientifique de tout humaniste – et en particulier la géométrie et l'astronomie grâce auxquelles l'architecte pourra maîtriser l'espace –, non seulement une connaissance approfondie de l'architecture antique – qui suppose un travail personnel de relevés –, mais encore un savoir pratique sans faille. Ces exigences sont exprimées en termes forts dans les premières pages du Premier Tome, illustrées, comme il se doit pour ce siècle épris d'hermétisme, d'une double image emblématique qui oppose le bon et le mauvais architecte. Delorme peut se permettre de parler ferme : il est orfèvre en la matière. Il connaît le métier ; il sait mener les ouvriers et conduire un chantier, choisir les bois secs, les bons moellons, arrêter les fondations sur le premier sol de sable rencontré (comme les fouilles de Saint-Léger l'ont confirmé). Il sait concevoir et dessiner un bâtiment, du plan masse au détail du lambris. Il sait comment doit être rédigé un devis ; il sait, d'une clause ajoutée au marché, réserver sa décision sur le choix d'un ornement, un profil de moulure, raturant, surchargeant le texte notarié de sa haute et ferme écriture. Mais il y a plus : formé jeune par des ouvriers hautement qualifiés qui l'ont initié à l'art du trait jusque dans ses plus vertigineux raffinements, il sait utiliser son art pour faire d'un vieux bâtiment un logis moderne – le fameux cabinet sur trompe d'Anet répond à cette nécessité ; stéréotomiste exceptionnellement savant, il connaît assez la géométrie et la perspective pour expliciter par le dessin la complexité tridimensionnelle des voûtes, dessins qu'il trace, qu'il commente, qu'il fait imprimer (livres III et IV du Premier Tome), prenant ainsi la responsabilité de les diffuser, révolution sans précédent dans le monde clos des tailleurs de pierre attaché à la transmission orale de l'arcanium magisterium, le secret des architectes. Delorme possède l'indispensable culture technique et humaniste qu'il a été chercher à la source. Ce double bagage, il est sans doute le seul avec Bullant à l'avoir, car Lescot n'est pas homme de chantier. Delorme, convaincu « qu'il y a aujourd'huy peu de vrais architectes » (Épître aux lecteurs, Premier Tome), ne fait pas mystère de sa supériorité. Les lignes sévères qu'il réserve aux « faiseurs de pourtraict », habiles à dessiner une façade mais incapables de tenir une truelle, aux maçons sans culture ne pouvaient que lui attirer des inimitiés tenaces. Ses ennemis ne l'ont pas épargné : en le qualifiant de « dieu des maçons », Palissy le blessait au plus vif.

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