DICK PHILIP K. (1928-1982)
Suis-je mort ? Suis-je vivant ?
Chez Dick, le monde est faux, tout y est simulacre : la nourriture, synthétique ; les objets de plastique, friables ; les animaux, des mécaniques ; les amis se révèlent être des androïdes sans émotion et soi-même l'on se réveille, après une opération, avec un corps rempli d'électronique, pour apprendre qu'on est un robot (La Fourmi électronique, 1969). L'univers entier n'est que faux-semblant. Dans Le Maître du Haut-Château (1962), les nazis, qui ont gagné la Seconde Guerre mondiale, se sont installés aux États-Unis, qu'ils partagent avec leurs alliés japonais. Les Américains asservis n'ont alors d'autre espoir que de croire en un livre, une Bible interdite qui proclame qu'il ne faut pas croire le témoignage des sens, car il existe une réalité ultime où les Allemands ont perdu la guerre... Au fond du désespoir, il ne reste plus qu'à nier le réel. À la place du vide creusé par le rejet des sensations s'installe un environnement illusoire fait des fantasmes, des craintes et des rêves des personnages. Mais, à fuir dans un quasi-délire le réel insupportable, les héros dickiens vont être confrontés à leur désir de mort, et cet univers de substitution, en proie à l'excès de fantasmes se révélera presque toujours plus insupportable encore que le vrai. Un autre roman, peut-être le chef-d'œuvre de Philip K. Dick, est exemplaire de cette dérive : il s'agit du Dieu venu du Centaure (1964), dont les héros cherchent à échapper, par l'entremise des hallucinogènes, à un monde effroyable : dans un futur proche, la Terre est surpeuplée, menacée de destruction par un soleil qui se réchauffe. Des colons sont envoyés sur Mars, où ils tentent de survivre malgré l'hostilité silencieuse d'un climat insoutenable. Regroupés par petites unités frileuses dans les « clapiers », ils renoncent à cultiver le sol difficile pour passer leurs journées sous l'emprise de diverses drogues qui aggravent encore leur isolement.
Les questions sur la mort traversent l'œuvre de Dick : elles suivent d'abord le fil rouge qui mène à la sœur jumelle morte. Dans Docteur Bloodmoney (1965), une petite fille contient, à l'intérieur de son ventre, son frère jumeau qui n'est jamais né. Avec celui qui n'est ni mort ni vivant, elle a d'incessantes conversations. Il lui raconte le bruit que font les cadavres sous la terre ; elle lui décrit les contours d'un monde qu'il ne percevra jamais. Au fil des ans, Dick transpose dans l'écriture les questions que lui pose son corps malade. Dans Ubik, il imagine qu'il est possible de maintenir une activité électrique crépusculaire dans le cerveau des morts, grâce à la cryogénie. Celui qui se réveille en semi-vie ne se doute d'abord de rien. Tout au plus remarque-t-il autour de lui des sortes de messages étranges ; puis, peu à peu, il voit disparaître les repères de son existence ; les objets les plus quotidiens s'écroulent en poussière, puis reviennent quelques instants, lumières clignotantes d'une vie qui se retire. Suis-je mort ? Suis-je vivant ? Est-ce que j'existe pour les autres ? Pour ceux dont je suis issu ? Telles sont les questions qui se font écho dans l'œuvre de Dick et remettent en cause l'écriture elle-même.
Le doute, en effet, va se replier sur lui-même pour faire vaciller les cadres de l'écriture. Certains textes deviennent alors d'immenses métaphores de la difficulté de créer pour un auteur : un livre comme Le Guérisseur de cathédrales (1969), écrit dans une période de grande dépression, présente un héros incapable de faire œuvre. Sans travail, faute de commande, il ne peut espérer que des tâches de seconde main : il répare les poteries cassées. Lorsqu'il essaie de produire des porcelaines nouvelles, le résultat[...]
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Écrit par
- Marcel THAON : assistant en psychologie clinique à l'université de Provence (Aix-Marseille-I)
Classification
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