ARIÈS PHILIPPE (1914-1984)
Philippe Ariès naît le 21 juillet 1914 à Blois (Loir-et-Cher). Ce lieu de naissance n'est qu'une étape dans la carrière de son père, ingénieur en électricité, qui va le conduire à Paris à partir de 1920. Mais le berceau de la famille est ailleurs : au xviiie siècle, les ancêtres ont émigré du Comminges vers la Martinique, avec Bordeaux pour port d'attache. Peu avant 1900, les parents de Philippe sont revenus en France.
Cette famille, Philippe Ariès ne l'a jamais reniée ni oubliée ; il en a accepté les valeurs et s'en est servi comme terme de référence dans son explication du monde. Elle est catholique et royaliste : souvent avec passion, avec beaucoup de fidélité dans tous les cas. « Ils étaient politiquement réactionnaires, mais culturellement progressistes », dit-il dans Un historien du dimanche. Il en gardera une grande sensibilité aux innovations techniques comme aux idées nouvelles.
Une autre caractéristique de cette famille est d'être « large » : les quatre enfants Ariès ne sont pas restreints au dialogue avec leurs père et mère ; la vision du monde adulte leur est aussi transmise par une collection de tantes, grands-mères, grands-pères, oncles, servantes de famille... qui vivent à demeure ou que l'on retrouve pendant l'été en Gironde. Cette famille n'est pas un étouffoir, mais plutôt un moule protecteur à la durable influence. Dans Un historien du dimanche, la famille est abondamment décrite, l'école presque pas. D'ailleurs, Philippe Ariès est un élève turbulent. D'école en école, il aboutit chez les jésuites de Saint-Louis-de-Gonzague, puis au lycée Janson-de-Sailly. Il milite alors aux « Lycéens et collégiens d'Action française », au moment où ce parti maurrassien est dans sa plus grande force : « Cette activité politique intense a certainement joué un rôle beaucoup plus important dans ma formation que l'enseignement lui-même. » Il fait fréquemment l'école buissonnière : ses parents retirent cet élève peu attentif du lycée. Il passe son baccalauréat après avoir étudié seul. Il faut alors décider de l'avenir. Les mathématiques ? Trop austères. Il choisit l'histoire. C'est l'âge des amitiés électives : il se lie notamment avec Pierre Boutang, Raoul Girardet, et forme une petite bande unie par l'amitié et une commune vision du monde. Mais, par l'histoire, Philippe Ariès prend du champ par rapport à ses amis politiques. Il relève l'opposition entre l'histoire « capétienne » à la manière de Bainville et l'histoire universitaire « positiviste », qui tâche d'éviter l'interprétation. Plus avant, il découvre en filigrane l'histoire sociale, une histoire « sans État ». Ce cheminement le conduit à être de facto en opposition avec son milieu d'Action française, qu'il caractérise comme « nationaliste autoritaire » ; lui-même se définit comme « traditionaliste », sensible au « modèle anarchique et royal du xvie siècle ». Cela ne l'empêchera pas de participer à deux journaux animés par Pierre Boutang, Paroles françaises, au sortir de la guerre, et La Nation française, pendant la guerre d'Algérie.
Mais l'action politique n'est pas pour lui l'essentiel. 1940 – et une mobilisation qui n'est qu'une retraite sans combat – fait rupture : « Je commençais à deviner que la politique recouvrait l'histoire d'une pellicule qui la masquait. » Il retrouve Paris, et les études. Il échoue pour la deuxième fois à l'oral de l'agrégation ; il ne fera donc pas carrière dans l'Université. En 1943, il entre à l'Institut de recherche coloniale (devenu aujourd'hui Institut de recherches sur les fruits et agrumes) comme chef du service de documentation. Il y restera jusqu'en 1979, en y appliquant son sens de l'innovation : il est un des premiers en France[...]
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Écrit par
- Hervé KEMPF
: rédacteur en chef de
Reporterre
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