VILLIERS DE L'ISLE-ADAM PHILIPPE AUGUSTE (1838-1889)
Le conteur
C'est à ses recueils narratifs, cependant, que Villiers devra sans doute l'essentiel de sa renommée. Les Contes cruels, en 1883, ont marqué avec éclat la résurrection d'un écrivain qu'une infortune tenace menaçait de plonger dans l'oubli. Remy de Gourmont en a souligné l'importance historique : « De les avoir lus, des jeunes gens se sentirent troublés. Vers le même temps, on avait connu Sagesse et découvert Mallarmé. À Reboursacheva la moisson, en fournissant le lien. » D'autres volumes devaient suivre : L'Amour suprême (1886), Histoires insolites et Nouveaux Contes cruels (1888), Chez les passants (ouvrage paru un an après la mort de Villiers).
La plupart de ces récits conservent à nos yeux tout leur attrait. L'Intersigne, Le Convive des dernières fêtes, Véra, Le Secret de l'échafaud, La Torture par l'espérance s'imposent par une intensité dramatique et une rigueur de construction qui les apparentent aux œuvres classiques. La maîtrise du conteur tient à l'art de créer une atmosphère, d'éveiller une angoisse, d'entretenir une énigme, d'acheminer le lecteur, de surprise en surprise, vers une fin inattendue, mais éclairante et soulignée souvent par une image d'un grand effet.
Le personnage qui donne son nom au recueil Tribulat Bonhomet (1887), campé par Villiers dès sa jeunesse dans une nouvelle, Claire Lenoir, revient dans d'autres récits d'une élaboration beaucoup plus tardive, dont le meilleur est Le Tueur de cygnes. Tribulat Bonhomet, pédantesque apôtre du sens commun, « archétype » de la conscience bourgeoise, incarne tout ce que Villiers méprise et déteste. En lui donnant la parole, l'écrivain laisse entrevoir, par antiphrase, son propre rêve, qu'humilie et piétine un siècle maudit. Mais tout homme a en lui un Bonhomet qui s'éveille, dans les instants où s'exerce la tyrannie de l'esprit satanique dont ce tragique bouffon est le symbole : « Je suis inévitable ! Je suis inoubliable ! Interminable ! Chacun apporte sa pierre à mon édifice. »
Villiers de L'Isle-Adam a composé enfin un roman, L'Ève future (1886), qui peut passer pour un récit d'anticipation scientifique, mais qui est surtout une « œuvre d'art métaphysique », destinée à illustrer, une fois de plus, les principes fondamentaux d'une philosophie spiritualiste. Il postule que toute vie résulte d'une synthèse entre un organisme physique et un principe immatériel ; il suppose que, grâce aux ressources de l'électricité, un savant (Edison) a pu réunir les conditions d'une semblable synthèse et créer une femme qui joint à la beauté du corps la perfection de l'âme. Mais la réalité de cette incarnation idéale demeure subordonnée à la volonté de l'amoureux qui en a fait sa raison de vivre. Prodige de la science, « Hadaly » est aussi un miracle de la foi.
Villiers de L'Isle-Adam a dédié son Ève future « aux rêveurs, aux railleurs ». Il fut l'un et l'autre. Sa virulence satirique est la revanche d'un idéalisme meurtri, qui a le dernier mot. Il appartient au lecteur de prolonger en lui-même les suggestions d'une pensée qui n'a formulé sa révolte que pour mieux la dépasser.
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Écrit par
- Pierre-Georges CASTEX : ancien élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut
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