BOESMANS PHILIPPE (1936-2022)
Des opéras pour le XXIe siècle
À son arrivée à la direction du Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles, en 1981, Gérard Mortier engage Boesmans comme conseiller musical ; celui-ci y devient en 1985 compositeur en résidence. La Monnaie va lui commander quatre opéras (ainsi que les Trakl-Lieder, pour soprano et orchestre, 1987). La Passion de Gilles, sur un livret de Pierre Mertens (il s'agit de Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d'Arc et coupable de nombreux meurtres, exécuté en 1440), est créé le 18 octobre 1983. Au-delà des jeux de timbres orchestraux et vocaux (la distribution affirme avec éclat une caractérisation des personnages héritée du xixe siècle), au-delà des jeux harmoniques ou de styles, des résonances entre voix et instruments, cet ouvrage – qui se situe à l'opposé de la conception « éclatée » d'Attitudes – apparaît avant tout, esthétiquement et techniquement, comme le miroir de l'ambiguïté créatrice de la fin du xxe siècle. Les consonances y sont en effet réintégrées au sein d'une atonalité où resurgissent des préoccupations du passé, radicalement actualisées.
Pour Boesmans, auteur d'une restitution et d'une orchestration singulières de L'Incoronazione di Poppea de Monteverdi, créée à La Monnaie le 16 mai 1989, dans une mise en scène de Luc Bondy, l'opéra n'est pas mort, ni les contraintes dramatiques qui lui sont liées, ni le lyrisme vocal qui lui est consubstantiel, ni les personnages archétypaux qui le peuplent. Reigen, opéra en dix scènes sur un livret de Luc Bondy d'après La Ronde de Schnitzler, puis Wintermärchen, opéra en quatre actes sur un livret de Luc Bondy et de Marie-Louise Bischofberger d'après Le Conte d'hiver de Shakespeare, sont créés à La Monnaie le 2 mars 1993 et le 10 décembre 1999, respectivement. Le 8 mars 2005, Julie, opéra en un acte, sur un livret qui est une nouvelle fois de Bondy et Bischofberger, d'après Mademoiselle Julie de Strindberg, est créé à La Monnaie. Le triomphe de ces trois derniers ouvrages tient à l'osmose remarquable entre le compositeur et son librettiste Luc Bondy, qui assure également leur mise en scène. Ce qui a fait dire au musicologue Harry Halbreich que cette collaboration « fait partie de ces rendez-vous bénis des dieux et trop rares qui se nomment Mozart-Da Ponte, Verdi-Boito ou Strauss-Hofmannsthal ». Ce mariage heureux entre les deux artistes se retrouve dans Yvonne, princesse de Bourgogne, comédie tragique en quatre actes sur un nouveau livret de Bondy et Bischofberger, d’après la pièce éponyme de Witold Gombrowicz, créée le 24 janvier 2009 à l’Opéra Garnier de Paris, dans une mise en scène de Bondy. Boesmans reprend son orchestration de l’opéra de Monteverdi dans Poppea e Nerone, nouvelle production créée le 12 juin 2012 au Teatro Real de Madrid et mise en scène par Krzysztof Warlikowski. Son opéra suivant, Au monde, d’après une pièce et dans une mise en scène de Joël Pommerat, est créé le 30 mars 2014 au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Cette collaboration fructueuse avec Joël Pommerat s’est poursuivie avec Pinocchio, créé le 3 juillet 2017 dans le cadre du festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence.
Ces musiques de scène ne sont pas sans évoquer Janáček, Boesmans cherchant à débusquer les accents de vérité que le chant concrétise et sublime, à traquer le poids des mots et leurs significations psychologiques. Il brosse ainsi, à travers son panthéon littéraire et théâtral, une véritable Comédie humaine musicale.
Philippe Boesmans meurt le 10 avril 2022 à Bruxelles.
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Écrit par
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
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Autres références
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WINTERMÄRCHEN (P. Boesmans)
- Écrit par Christian MERLIN
- 1 076 mots
Créé le 10 décembre 1999 au Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles, Wintermärchen (Le Conte d'hiver), opéra en quatre actes du compositeur belge Philippe Boesmans (né en 1936), fut aussitôt donné, en janvier et février 2000, à l'Opéra national de Lyon ; à l'automne de cette même année,...