PHILIPPE II D'ESPAGNE (1527-1598)
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Si Charles Quint jouit auprès des historiens d'une réputation flatteuse, Philippe II reste un des personnages les plus discutés des Temps modernes. Pourtant jamais fils ne fut plus soucieux de continuer l'œuvre de son père, de rester fidèle à ses instructions.
Cependant les temps avaient changé. Alors que l'empereur avait longtemps espéré une réconciliation des chrétiens, désormais l'entente n'était plus possible entre catholiques et protestants. De là l'accusation de fanatisme souvent portée contre Philippe II. Mais, à quelques exceptions près, on pourrait le dire de la plupart des hommes d'État de la seconde moitié du xvie siècle. Peu différent de ses contemporains, le roi d'Espagne était profondément religieux, sûr de son bon droit et enclin à la rigueur.
Les principaux traits de sa personnalité furent une grande puissance de travail au service d'une intelligence moyenne, une réelle timidité et le goût de la solitude. Bien différent en cela de Charles Quint, il se comporta en véritable Ibérique, ne parlant que le castillan et le portugais, et il ne quitta plus la Péninsule après 1559. Débarrassé du titre impérial et du guêpier allemand, maître après 1581 de deux empires coloniaux, il fut en réalité plus puissant que son père.
Il n'aimait pas la guerre, mais se laissa entraîner dans trop de conflits, en Méditerranée contre les Turcs, dans l'Atlantique contre l'Angleterre, en France contre les partisans d'Henri IV. La révolte des Pays-Bas fut la plaie inguérissable du règne. Les nécessités de la guerre obligèrent Philippe II à tripler les charges financières de la Castille. Est-ce là l'origine de la décadence ? En partie sans doute. Des recherches récentes donnent à penser que les épidémies de la fin du xvie siècle et du xviie siècle y ont contribué tout autant.
Un prince riche de plusieurs royaumes
Fils de Charles de Habsbourg et d'Isabelle de Portugal, le prince Philippe naquit à Valladolid le 21 mai 1527 et fut confié aux soins d'une noble dame portugaise. Lorsqu'il eut atteint l'âge de sept ans, son père lui constitua une maison. Son précepteur, Juan Martínez Siliceo, un ecclésiastique, lui enseigna le latin. Son gouverneur, don Juan de Zúñiga, lui fit pratiquer l'escrime, la chasse et la danse.
Premiers gouvernements (1540-1559)
En 1543, l'empereur quitta l'Espagne pour de longues années et nomma le prince Philippe régent. Philippe épousa sa cousine Marie de Portugal, qui mourut en donnant le jour à don Carlos. Charles Quint lui avait conféré en 1540 l'investiture du duché de Milan, puis lui fit entreprendre en 1548 un voyage en Italie, aux Pays-Bas et en Allemagne, laissant la régence à sa fille Marie et à son gendre Maximilien. Revenu en Espagne en 1551, Philippe s'embarqua en 1554 pour l'Angleterre, muni du titre de roi de Naples, pour épouser la reine Marie Tudor. Aucun héritier n'étant né de cette union, l'empereur rappela son fils à Bruxelles. Peu après, il abdiqua en sa faveur, lui transmettant la souveraineté des Pays-Bas (sept. 1555) puis celle de l'Espagne (janv. 1556).
Il retourna en Castille au moment où les hostilités éclataient en Italie contre Paul IV, soutenu par Henri II. Le duc d'Albe envahit les États pontificaux et empêcha le duc de Guise de conquérir Naples. Philippe II resta aux Pays-Bas d'où ses armées menaçaient directement la France. La victoire de Saint-Quentin ne put être exploitée et fut compensée par la prise de Calais par François de Guise. À la fin, Henri II et Philippe II, à bout de ressources et inquiets des progrès du protestantisme, firent la paix au Cateau-Cambrésis (3 avr. 1559). L'Italie était soumise à l'hégémonie espagnole, la France conservait Calais et les Trois-Évêchés. Veuf de Marie Tudor, Philippe se remaria avec Élisabeth de Valois. La réconciliation des deux dynasties mettait fin à un conflit qui durait depuis quarante ans. N'ayant plus de raison majeure de demeurer aux Pays-Bas, le roi, répondant aux vœux de l'opinion espagnole, regagna la Péninsule, qu'il ne devait plus quitter. En son absence, sa sœur Jeanne, veuve du prince de Portugal, avait exercé la régence.
Le gouvernement de l'Espagne (1559-1598)
Philippe II ne changea rien aux institutions de l'Espagne, les États de la couronne d'Aragon restant distincts de la Castille, pays le plus peuplé, le plus riche et le plus soumis. Il y résida la plupart du temps. Madrid devint le siège du gouvernement, tandis que le souverain faisait bâtir l'immense palais de l'Escorial, achevé seulement en 1584. Peu martial, sédentaire, il consacra tout son temps aux affaires de l'État. Roi bureaucrate, il n'hésitait pas à entrer dans les plus minimes détails.
Ses conseillers se divisaient en deux clans, l'un mené par le prince d'Éboli et le secrétaire Antonio Pérez, l'autre par le duc d'Albe et plus tard le cardinal Granvelle. Quelques affaires dramatiques sont restées célèbres. Tout d'abord le conflit qui opposa le roi à son fils don Carlos, disgracié par la nature et incapable de régner. Ayant intrigué avec les rebelles des Pays-Bas, celui-ci fut emprisonné et mourut mystérieusement (1568). Tout aussi ténébreuse fut l'affaire Antonio Pérez, où le rôle du souverain n'a pas été éclairci. Pérez, responsable en 1578 du meurtre d'Escovedo, secrétaire de don Juan d'Autriche, frère naturel du roi et alors gouverneur des Pays-Bas, fut arrêté en même temps que la princesse d'Éboli. Il s'échappa et se réfugia en Aragon, où il suscita des troubles. Saragosse, en état de rébellion, fut durement châtiée. Tandis que Pérez réussissait à gagner la France, le grand juge, Juan de Lanuza, fut exécuté (1591). L'année suivante, les libertés de l'Aragon furent restreintes.
Vigilant défenseur de l'orthodoxie religieuse, Philippe II soutint l'Inquisition. Des groupes suspects de protestantisme furent décimés par des autodafés à Valladolid et à Séville. L'archevêque de Tolède, Bartolomé de Carranza, fut emprisonné (1559-1567), ce qui provoqua un conflit de juridiction avec la cour de Rome, qui au bout de sept ans obtint son transfert en Italie. Très pieux, Philippe II fut cependant plus d'une fois en désaccord avec le Saint-Siège, car il était jaloux de ses prérogatives. S'il s'appliqua à empêcher les incursions des huguenots en Catalogne, il ne put réprimer totalement le banditisme.
Son ambitieuse politique extérieure l'entraîna à des dépenses démesurées, supportées surtout par la Castille. Il tripla les recettes de cet État, qui passèrent de 1 240 millions de maravédis en 1556 à 3 649 millions en 1598, grâce au rétablissement de l'impôt pour la croisade, à l'augmentation de l'alcabala, taxe sur les ventes, et aux envois de métaux précieux d'Amérique pour le Trésor, qui montèrent de 260 à 817 millions. Il conclut avec des hommes d'affaires, principalement génois, des contrats (asientos) pour transférer des fonds en Italie et aux Pays-Bas. À trois reprises, en 1557, 1575 et 1596, il fallut suspendre les paiements de l'État et transformer la dette flottante en dette consolidée. En 1598, le montant des rentes (juros) avait triplé.
Philippe II fonda la bibliothèque de l'Escorial et une Académie des sciences à Madrid. Il fit rédiger des Relaciones topográficas, qui décrivent minutieusement certaines provinces.
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Écrit par
- Henri LAPEYRE : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Grenoble
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