PHILIPPE IV LE BEL (1268-1314) roi de France (1285-1314)
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Le gouvernement du royaume
Le domaine royal ne connut pas de grands accroissements sous Philippe le Bel : les villes de Lille, Douai, Béthune, Tournai passèrent sous administration royale directe. L'acquisition la plus importante fut celle de Lyon, qui manifestait l'extension du territoire vers l'est. Par différents moyens, certaines régions ou villes importantes furent placées sous la dépendance plus ou moins étroite du roi. La Champagne, que lui avait apportée sa femme, Jeanne de Navarre, fut, tout en demeurant à part du domaine, administrée par des agents royaux. Une partie du Barrois entra dans la mouvance française. Des accords de pariage firent du roi un coseigneur dans le Vivarais, à Cahors, Mende, Luxeuil, au Puy.
Mais, suivant aussi la coutume de ses prédécesseurs, Philippe le Bel constitua des apanages en faveur de ses frères Charles de Valois et Louis d'Évreux, de ses deuxième et troisième fils, Philippe (comte de Poitiers) et Charles (comte de la Marche).
Philippe le Bel et ses conseillers poursuivirent également le renforcement des organismes centraux de la monarchie.
La spécialisation de la curie royale s'accentue. Les fonctions judiciaires deviennent le monopole d'une commission qui se transforme peu à peu en parlement. Un règlement de 1303 cherche à l'organiser. Au cours du règne, une Chambre des enquêtes et une Chambre des requêtes se différencient peu à peu au sein du Grand Conseil. Les fonctions financières sont, à partir de 1303, divisées entre l'ancienne Chambre aux deniers et une nouvelle Chambre des comptes appelée à prendre de plus en plus d'importance. Le Trésor, qui était géré par les Templiers, passe aux mains d'agents royaux qui conservent d'ailleurs le caractère de banquiers du roi.
Impositions et expédients financiers
Le problème le plus difficile était celui posé par les finances. Le roi ne pouvait plus gouverner avec les seuls revenus du domaine royal augmentés de taxations extraordinaires levées en vertu des institutions féodales (aides demandées en certains cas aux vassaux), domaniales (tailles levées sur les paysans) ou obtenues du clergé aux fins prétendues de croisade (décimes) ou des villes (subsides) sous des prétextes divers. Philippe le Bel tenta d'établir une imposition directe régulière par différents moyens : centièmes, cinquantièmes, vingtièmes ou autres, assis sur le capital, le revenu, ou par famille (« par feu »). Il n'y réussit pas.
Les confiscations de biens au détriment de groupes considérés comme des corps étrangers au royaume continuèrent. Ces spoliations s'accompagnent d'expulsions collectives. Ce fut le cas des Juifs (100 000 environ, probablement) en 1306. Ce furent, en 1277, 1291, 1311, les arrestations et expulsions de marchands italiens, appelés Lombards, qui jouaient un rôle important dans le grand commerce (le plus riche Parisien du temps, était probablement le Placentin Gandoufle ou Gandolphe d'Arcelles) et dans les finances royales (les frères florentins Biccio et Musciato Guidi de Franzesi, dits Biche et Mouche, furent les banquiers et les conseillers du roi en matière monétaire).
Parmi les expédients financiers, Philippe le Bel et ses conseillers recoururent aussi à des altérations de la valeur nominale ou de la valeur intrinsèque du cours de la monnaie. Ces mutations monétaires procuraient au roi un double bénéfice par la taxe qu'il levait sur le monnayage et surtout par le soulagement que l'abaissement de la valeur nominale apportait aux dettes royales. Mais la diminution des revenus qui en résultait à la longue, les pertes occasionnées par l'inflation qui suivait aux catégories sociales payées en monnaie dévaluée (seigneurs, rentiers du sol, salariés) annulaient largement les effets bienfaisants mais éphémères de ces dévaluations pour les finances royales. Aussi les dévaluations de 1295-1296, 1303, 1305 sont-elles suivies de « renforcements » ou rétablissements de la « bonne » monnaie en 1306 et 1313. Mais ces mesures de déflation frappaient lourdement le petit peuple, surtout celui des villes, dans la mesure en particulier où les propriétaires réclamaient le paiement des loyers en monnaie forte. D'où, en 1306, de graves émeutes à Paris, où les artisans de corporations semblent avoir joué un rôle de premier plan. L'exécution de meneurs et de chefs des corporations, la suppression (provisoire) des corporations parisiennes laissent soupçonner que cet épisode mal connu n'a fait que révéler et exacerber des antagonismes sociaux profonds. De façon plus générale, les mutations monétaires sont dues sans doute autant aux conséquences des fluctuations du commerce de l'or et de l'argent entre l'Orient et l'Occident qu'aux besoins financiers de la monarchie, ou plutôt ceux-ci s'aggravent en fonction de celles-là. Les mutations monétaires révèlent donc les difficultés financières de la royauté, la sensibilité croissante de la société française à l'économie monétaire et la fragilité de la position française sur le théâtre du commerce international. Cette politique, qui valut à Philippe le Bel la réputation de « faux-monnayeur », compliqua ses relations avec le Saint-Siège, draineur d'argent du royaume et allié aux banquiers florentins, créanciers des rois.
Les premières assemblées nationales (1302-1314)
Les difficultés financières contribuèrent aussi à la convocation par le roi d'assemblées de délégués de la nation appelés à le soutenir non seulement en paroles mais aussi par des subsides. Les prédécesseurs de Philippe le Bel avaient déjà réuni des représentants soit de la noblesse, soit du clergé, soit de la bourgeoisie urbaine. Mais c'est en 1302 que Philippe le Bel convoqua pour la première fois ensemble des représentants des trois ordres ou états. D'autres assemblées furent les premiers « états généraux », selon une expression qui est postérieure.
Par ces consultations (étroitement dépendantes du bon vouloir royal), par de vastes campagnes d'opinion, par l'action étendue des agents royaux, le roi et ses conseillers contribuèrent à créer une opinion publique nationale. Ils recoururent souvent à la calomnie, à l'intimidation, à la désignation de boucs émissaires individuels ou collectifs, mais l'emploi de ces moyens manifesta la naissance de la raison d'État au niveau de la justification publique. Une telle propagande contribua à renforcer dans la psychologie collective la « religion royale ». Cette adhésion massive masqua pour un temps les conflits sociaux et l'inefficacité relative de l'administration.
Les fonctionnaires royaux
Une des causes de l'échec de Philippe le Bel en matière d'impôt est l'impuissance de l'administration à en fixer l'assiette. La monarchie était incapable de connaître le chiffre de la population, la richesse des individus et du pays, de réunir les renseignements indispensables à un gouvernement rationnel. Les gens capables, notamment par leurs compétences juridiques, d'aider la monarchie préfèrent encore souvent au service du roi des carrières privées, plus lucratives (J. R. Strayer).
Il ne faut pourtant pas exagérer l'inefficacité de l'administration de Philippe le Bel. Par l'intermédiaire des baillis et sénéchaux (et de leurs agents, de plus en plus nombreux) que Philippe le Bel choisit en dehors du pays qu'ils devaient administrer et assigna à résidence dans leurs circonscriptions, l'impulsion royale se transmettait peu à peu à tout le pays. Il subsistait encore des cours, des parlements régionaux. Le clivage entre France du Nord et France du Midi, France d'oil et France d'oc, demeurait. Les assemblées des trois états étaient convoquées pour chacune de ces deux France. Mais Paris, dont l'Université brille de tout son éclat, dont la cathédrale s'achève avec le début de la construction des chapelles du chœur, dont le palais royal s'agrandit et se dote d'une magnifique façade nord sur la Seine, où les ateliers d'art (livres enluminés, ivoires) se multiplient, Paris est de plus en plus la capitale de la France.
Malgré quelques notables exceptions, la laïcisation des conseillers royaux s'accélère. Fait nouveau, les gardes des Sceaux, successeurs des chanceliers, sont des laïcs. Les conseillers royaux viennent du Midi comme du Nord. Au Conseil « secret » siègent des « légistes » méridionaux comme Pierre Flote, Guillaume de Nogaret et Guillaume de Plaisians, grands artisans de la politique contre Boniface VIII, un Méridional juriste mais prélat, l'archevêque de Narbonne Gilles Aiscelin, des légistes septentrionaux, formés à Orléans, comme Pierre de Balleperche, Étienne de Mornay. Des nobles sont aussi proches conseillers du roi, tels le connétable Gaucher de Châtillon et surtout Enguerrand de Marigny, petit noble du Vexin normand, qui, à la fin du règne, dirigea aussi bien les affaires financières que les affaires extérieures du royaume. Il doit dès 1314 rendre des comptes au roi sur sa fortune, mais, encore tout-puissant à la mort de Philippe le Bel, il tombe bientôt et est pendu le 30 avril 1315 au gibet de Montfaucon, où son cadavre demeure exhibé pendant deux ans. D'autres conseillers de premier plan sont spécialisés, tels Pierre de Latilly dans la politique fiscale, Raoul de Presles, principal avocat du roi et « tombeur » des Templiers par sa déposition au procès, dans la représentation du roi au Parlement.
Il ne faut pas oublier les juristes de province, tels Pons d'Aumelas qui, après une longue carrière de juge à Montpellier, Rodez, Toulouse, finit au Parlement de Paris, ou Pierre Dubois, avocat royal à Coutances, dont les pamphlets à l'appui de la politique royale ne reçurent pas la consécration parisienne.
Enfin, les officiers royaux restés souvent anonymes, comme les « commissaires aux affranchissements » qui achevèrent d'affranchir les derniers serfs du domaine royal, rappellent que le roi « faux-monnayeur » fut avant tout le roi d'un pays agricole et d'un peuple où les ruraux étaient de loin les plus nombreux. C'est dans l'évolution de la rente féodale qu'il faut sans doute chercher l'explication la plus générale de la crise qui s'annonce sous le règne de Philippe le Bel.
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Écrit par
- Jacques LE GOFF : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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