JACQUIN PHILIPPE (1942-2002)
Né à Donville, dans la Manche, le 22 janvier 1942, le jeune Philippe Jacquin aimait les balades en mer autant et peut-être plus que les cours de l'école. Avec ses copains, il se prenait pour Sitting Bull, pour une diligence ou pour un cheval fou. L'instituteur dit à cette bande de lascars qu'ils finiraient tous pêcheurs de crevettes. Les lascars réfléchirent et Philippe Jacquin se mit à travailler. Plus tard, il fit de ses jeux d'enfance la matière de ses études et de ses travaux.
Il passe le C.A.P.E.S. d'histoire-géographie à Rennes, en 1971 et enseigne ensuite au lycée de Rochefort. En 1976, il publie une Histoire des Indiens d'Amérique du Nord, chez Payot.
Nommé assistant en histoire moderne à l'université de Lyon-III-Jean-Moulin, il entreprend, sous la direction de Jacques Soustelle, une thèse qu'il soutiendra devant l'École des hautes études en sciences sociales intitulée Attitudes et croyances des « hommes de la fourrure » dans l'Amérique française (XVIe-XVIIIe siècles). En 1989, il est nommé maître de conférences. En 1995, le voici professeur d'anthropologie à Lyon-II.
Partageant son temps entre le « terrain » et les bibliothèques, Philippe Jacquin a édifié une œuvre considérable. Ce grand historien innove sur plusieurs points : il est l'un des rares chercheurs ayant su marier l'histoire à l'anthropologie. Du temps où il était professeur à Rochefort, il a publié des contes et des fables qu'il avait recueillis auprès des vieux Charentais (Récits et contes populaires d'Aunis et de Saintonge, Gallimard, 1979), exactement comme il donnera plus tard la parole aux Indiens de l'Amérique actuelle.
Il a également contribué à transformer en « objets d'histoire » des drames ou des aventures qui, jusqu'à lui, avaient plutôt nourri les rêveries des enfants, des poètes, des cinéastes ou des romanciers : cow-boys, Indiens et pirates. Avant lui, rares étaient les ouvrages scientifiques consacrés à ces marginaux essentiels.
Tous ses thèmes de réflexion, aussi dissemblables qu'ils fussent, ont en commun d'interroger les « oubliés ou les vaincus de l'Histoire ». Ce goût des sociétés malheureuses ou négligées n'était pas gratuit : fils d'un mineur et d'une paysannne, Philippe Jacquin n'oublia jamais les années si rudes et belles cependant de son adolescence. Il dédia son ouvrage Les Pirates (Gallimard, coll. Découvertes, 1988) à Daniel Touzet, un patron de pêche qui avait partagé jadis ses frasques et ses ferveurs sur les plages de la Manche.
Étudiant à Rennes, il avait milité dans les filières d'extrême gauche. Il ne renia jamais ces engagements. « Je suis rouge for ever », écrivait-il en décembre 2000 dans la revue L'Histoire, et cela voulait dire également : « Je suis peau-rouge for ever. »
Ses longs séjours chez les Indiens d'Amérique du Nord s'expliquent autant par la curiosité d'un historien passionné que par la sympathie qu'il éprouvait pour les humiliés et les offensés. Mais sa rigueur scientifique était extrême : la compassion et l'amour qu'il portait aux Indiens n'étaient pas aveugles. Il n'a pas craint, par exemple, de contester, à la suite de l'Américain Shepard Krech III, le mythe idyllique de l'Indien « écologiste » et « conservateur de la Création ». Les Indiens, reconnaissait-il, furent de terribles prédateurs de la nature.
Philippe Jacquin fut de ces historiens qui brûlent de partager leur savoir non seulement avec les spécialistes et dans les séminaires, mais avec le public le plus large : collaborateur régulier de la revue L'Histoire durant vingt ans, il fit d'admirables reportages aux États-Unis pour la revue Geo et il donna des chroniques à La Quinzaine littéraire. À la radio (France Culture[...]
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Écrit par
- Gilles LAPOUGE : journaliste
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