JAROUSSKY PHILIPPE (1978- )
Traditionnellement, il est d’usage d’opposer les emplois de haute-contre – appartenant aux ténors naturels élevés, illustrés par la tragédie lyrique française des xviie et xviiie siècles – à ceux des contre-ténors, véritables vedettes du xviiie siècle italien, qui utilisaient leur tessiture de baryton ou ténor originelle en voix « de fausset ». Cette distinction paraît désormais de moins en moins pertinente. En effet, les registres vocaux sont semblables, les techniques d’émission sonore se rapprochent, les couleurs et la virtuosité restent cousines et les répertoires sont pour l’essentiel identiques.
Le renouveau baroque
Ces sopranistes, falsettistes ou non, ont sombré dans un oubli quasi total pendant près de deux siècles. C’est dans le sillage d’Alfred Deller (1912-1979) qu’ils ont retrouvé une faveur inattendue et accompagné les pionniers du baroque (Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt, Sigiswald Kuijken, John Eliot Gardiner) dans la redécouverte d’un domaine et d’un style abandonnés. Leur champ d’action se révèle aussi vaste que varié avec des œuvres composées par Purcell, Bach, Scarlatti, Monteverdi, Haendel, Vivaldi, Charpentier, Lully, Rameau, sans oublier toutes celles qui, jadis, étaient destinées aux castrats. Les compositeurs de notre temps – Britten, Ligeti, Eötvös, Vaughan Williams ou George Benjamin notamment – n’ont pas manqué de leur manifester eux aussi un vif intérêt. L’engouement public pour ce chant androgyne, à la fois céleste et sensuel, étourdissant et délicat, a favorisé l’éclosion d’un grand nombre de talents nouveaux. Max Emanuel Cencic, Xavier Sabata, Franco Fagioli, David Hansen, Bejun Mehta, Andreas Scholl, René Jacobs, Jeffrey Gall, Lawrence Zazzo, Dominique Visse et quelques autres encore s’assemblent en une constellation dont Philippe Jaroussky est l’une des plus brillantes étoiles.
La famille de Philippe Jaroussky fuit en France la révolution russe de 1917. Son grand-père, interrogé à la frontière, déclare « Ya russky », c’est-à-dire « je suis russe ». Et le fonctionnaire d’inscrire phonétiquement ce qu’il prend pour un patronyme. Philippe Jaroussky naît à Maisons-Laffitte le 13 février 1978. Ses dispositions musicales sont remarquées dès le collège. Il entre à onze ans au conservatoire régional de Versailles. Il y étudie l’analyse, l’écriture ainsi que le violon, discipline dont il remporte le premier prix en 1996. Il a dix-huit ans quand il entend dans une église parisienne le contre-ténor Fabrice Di Falco. Très impressionné par sa performance, il va rencontrer sa professeure, Nicole Fallien, pédagogue avec qui il travaillera de nombreuses années. En 1997, il entre dans la classe de musique ancienne du conservatoire national de région de Paris, cursus sanctionné par un diplôme en 2001. Dès 1999, il avait été distingué par Gérard Lesne qui lui avait proposé de chanter à ses côtés le rôle d’Ismael dans l’oratorio Il Sedecia, re di Gerusalemme d’Alessandro Scarlatti. C’est ainsi qu’il effectue avec Il Seminario Musicale une tournée dans toute la France. En 2001, il se produit au Théâtre des Champs-Élysées dans les trois grands opéras de Monteverdi sous la direction de Jean-Claude Malgoire. L’année suivante, il fonde son propre ensemble, Artaserse. Il travaille également avec l’élite des instrumentistes baroques : Les Arts florissants, Europa Galante, Concerto Köln, Le Concert d’Astrée, I Barocchisti, Orfeo 55 ou L’Arpeggiata. D’une virtuosité confondante, sa voix originelle de baryton, remodelée en « voix de tête », offre des aigus irréels et des nuances d’une infinie souplesse. Elle lui permet de séduire très au-delà des amateurs de musique classique.
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
Classification
Média