L'HÉRITIER PHILIPPE (1906-1994)
Philippe L’Héritier, né à Ambert (Puy-de-Dôme) le 3 janvier 1906, a été l’un des principaux introducteurs de la génétique en France à partir des années 1930, à un moment où cette science de l’hérédité était encore regardée avec hostilité voire condescendance par la plupart des zoologistes et botanistes de l’époque. Il faut rappeler, par exemple, avec quelle dureté quelqu’un comme Étienne Rabaud, professeur à la Sorbonne à la chaire de zoologie expérimentale, voyait la génétique, qui avait selon lui eu une action rien de moins que « débilitante » sur le développement de la biologie ! C’est dans un tel contexte que L’Héritier – avec quelques autres comme Georges Teissier, Boris Ephrussi, André Lwoff ou Georges Rizet – réussit à imposer la génétique à l’occasion de l’importante refonte de la recherche française qui suivit la Seconde Guerre mondiale. Il le fit d’une part via son activité de chercheur, et d’autre part du fait de ses enseignements et des livres de vulgarisation qu’il publia.
De la génétique des populations aux transposons
Formé en mathématiques, c’est par goût que L’Héritier s’orienta finalement vers les sciences naturelles au moment de son entrée à l’École normale supérieure en 1926. Après l’agrégation, sur les conseils avisés du biologiste André Mayer, il bénéficia d’une bourse de la fondation Rockefeller qui lui permit de se former à la génétique aux États-Unis durant une année académique entière. De retour à Paris à l’automne 1932, il entama une collaboration avec Georges Teissier, qui lui aussi souhaitait mathématiser les sciences du vivant et pensait que la génétique était une occasion rêvée pour le faire. C’est à ce moment que L’Héritier conçut les fameuses « cages à population » (ou « démomètres »), c’est-à-dire un dispositif permettant d’élever de manière continue une population d’environ 3 000 à 4 000 drosophiles, l’organisme modèle par excellence de la génétique américaine. Grâce aux démomètres, et pour la première fois, il était possible de mettre à l’épreuve de manière expérimentale certains aspects des modèles de la nouvelle génétique des populations. La collaboration entre L’Héritier et Teissier, entre 1932 et 1937, fut le moment fondateur de l’école française de génétique expérimentale des populations. En l’espace de quelques mois, tous deux parvinrent à des résultats décisifs concernant le maintien actif, sous l’action de la sélection naturelle, du polymorphisme allélique dans les populations, du fait d’un certain nombre de phénomènes dont on doutait de la réalité.
Pour dénombrer les phénotypes, les drosophiles étaient endormies temporairement grâce à l’action du CO2. De manière inattendue, en 1937, L’Héritier observa que certaines souches étaient tuées par ce traitement, que ce trait phénotypique était héréditaire, et que sa transmission ne suivait absolument pas les lois de Mendel. Teissier fut extrêmement gêné par cette anomalie, L’Héritier fut au contraire enthousiaste. Peu de temps après, il était nommé maître de conférences à l’université de Strasbourg, où il emmena avec lui les souches de drosophiles « sensibles » au CO2 (en 1938, il pensait qu’il s’agissait d’une propriété remarquable, qui ne concernait que quelques rares souches). Les quarante années suivantes de la carrière, si riche, de L’Héritier peuvent en fait être vues comme l’approfondissement d’une seule question : quel était le mécanisme non mendélien à l’origine de ce phénomène ?
À l’hypothèse très hétérodoxe d’un « génoïde », particule capable d’« hérédo-contagion » – c’est-à-dire d’une transmission horizontale par contagion et verticale par hérédité –, fut substituée au cours des années 1940 celle d’un virus capable de s’intégrer[...]
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Écrit par
- Laurent LOISON : docteur en épistémologie et histoire des sciences, chargé de recherche au CNRS, professeur agrégé de sciences de la vie et de la Terre
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Autres références
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POLYMORPHISME, biologie
- Écrit par Maxime LAMOTTE , Philippe L'HÉRITIER , Étienne PATIN et Lluis QUINTANA-MURCI
- 11 321 mots
- 8 médias
...le matériel expérimental le plus commode. La technique utilisée est celle des cages à populations, ou démomètres, imaginées en 1933 par G. Teissier et P. L'Héritier, puis adoptées par T. Dobzhansky et son école. Il s'agit simplement de caisses, dans lesquelles on maintient en permanence une population... -
TEISSIER GEORGES (1900-1972)
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Andrée TÉTRY
- 1 030 mots
- 1 média
Zoologiste et biologiste français, Georges Teissier a joué un rôle important – tout comme ses collègues Philippe L’Héritier (1906-1994), Georges Rizet (1914-2005) et Boris Ephrussi (1901-1979) – dans la renaissance de la génétique en France à la fin des années 1930 et de son enseignement...