MANOURY PHILIPPE (1952- )
La tentation du théâtre lyrique
Le 10 mars 1997, 60e Parallèle, la première partition lyrique de Philippe Manoury, est créé au Théâtre du Châtelet, à Paris, par l'Orchestre de Paris sous la direction de David Robertson. Parti d'un premier projet s'inspirant de l'univers d'Orson Welles, le compositeur a écrit un opéra en un acte d'une centaine de minutes pour 90 musiciens et 9 personnages réunis dans un aéroport, quelque part sur le 60e parallèle. L'œuvre repose sur un texte de Michel Deutsch. L'histoire a été déterminée par une nouvelle d'Anton Tchekhov, Sur la grande route, qui montre des personnages en transit se rencontrant en un lieu unique, isolés du monde par de mauvaises conditions météorologiques. Dans 60e Parallèle, il s'agit d'un aéroport bloqué sous les neiges du Grand Nord. La tension dramatique de l'œuvre vient de l'absence de progression logique et du fait qu'à n'importe quel moment une phrase que l'on n'attendait pas peut faire irruption. Le grand orchestre est souvent divisé en plusieurs petits orchestres de manière à pouvoir dupliquer la même image sonore. L'électronique n'intervient, de manière sporadique, comme un instrument supplémentaire, que dans le traitement des voix, pour les rendre plus compréhensibles : afin que les auditeurs saisissent nettement le texte, l'ordinateur reproduit les accents des voyelles en même temps que les interprètes chantent tout à fait naturellement.
Son deuxième ouvrage lyrique, K..., sur un livret de Bernard Pautrat et André Engel d'après Le Procès de Franz Kafka, commande de l'Opéra national de Paris, est créé le 7 mars 2001 à l'Opéra-Bastille, dans une mise en scène d'André Engel et sous la direction musicale de Dennis Russell Davies. Il s'agit d'un ouvrage en douze scènes de longueurs inégales illustrées par une musique discontinue qui caractérise chaque moment important. L'unité de l'ensemble n'en est pas moins préservée par une logique harmonique. Soucieux d'occuper la totalité de l'espace que lui offrait l'Opéra-Bastille, Philippe Manoury a fait ici preuve d'une grande maîtrise de la musique électronique, réalisée à l'I.R.C.A.M. : la spatialisation des sons grâce à 16 haut-parleurs disposés autour de la salle conduit par moments à une véritable polyphonie, notamment à la fin de l'ouvrage, lorsque K... se trouve dans la cathédrale avec l'aumônier, juste avant son exécution. Si K... peut être considéré comme un opéra, il tient aussi du théâtre musical : sans perdre leur autonomie, les voix, les instruments, les gestes, la mise en scène, les décors, les lumières et les costumes sont en effet étroitement liés ; les librettistes ont gardé les principaux dialogues du Procès mais il arrive que Manoury substitue au récit, qui n'est pas toujours linéaire, une sorte de contrepoint d'histoires et de points de vue.
En 2002, Philippe Manoury est en résidence au Carré Saint-Vincent d'Orléans, qui lui commande sa troisième œuvre scénique. Créé le 1er octobre 2003 à la Scène nationale d'Orléans dans une mise en scène de Yoshi Oïda, La Frontière est un opéra de chambre en quatre tableaux pour six chanteurs, neuf solistes et un système électronique en temps réel. Le livret de Daniela Langer nous conte l'histoire d'une femme dans un pays en guerre ; celle-ci part à la recherche d'un homme au-delà d'une frontière, mais on ne sait rien d'autre d'elle : ni qui elle est, ni d'où elle vient. On suit simplement sa longue dérive dans un conflit interminable. Cet opéra a une signification hautement symbolique : Daniela Langer ne nous parlerait-elle pas de l'errance en général ? Extrêmement différent des deux ouvrages lyriques précédents du point de vue de sa facture et de sa réalisation musicale[...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification
Média
Autres références
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ALGORITHMIQUE MUSIQUE
- Écrit par Alain FÉRON
- 393 mots
- 1 média
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