MANOURY PHILIPPE (1952- )

Terra Ignota

En 2004, Philippe Manoury s'établit aux États-Unis, où il occupe un poste de professeur de composition et d'analyse musicale à l'université de Californie à San Diego.

Le 26 novembre 2007 à Munich, Abgrund, pour grand orchestre, commande de l'Orchestre symphonique de Montréal et de l'Orchestre d'État de Bavière, est créé par ce dernier sous la direction de Kent Nagano, à laquelle l'œuvre est dédiée. Dans le programme de la création, on peut lire que Abgrund – qui signifie en allemand « gouffre », « précipice », « abîme » – est la « chronique d'une chute ». Comment le compositeur traduit-il musicalement cette chute ? Cinq colonnes de sons composent la texture sonore principale de la pièce. Par-dessus ces colonnes, des nappes harmoniques complexes forment des nuages de sons d'où émergent brièvement des fragments mélodiques. Les colonnes soutiennent donc l'édifice, mais elles finissent par s'effondrer, entraînant avec elles cet enchevêtrement de rythmes et de tempos différents. « Il ne reste qu'une monodie qui s'étire. Plus rien pour la soutenir. »

Au cours de l'automne de 2007, Philippe Manoury compose Terra Ignota, pour piano et ensemble. Le compositeur déclare dans la note de programme de cette pièce : « “Terra Ignota” était le nom qui, sur les cartes géographiques du globe terrestre, désignait autrefois les terres qui n'avaient pas encore été explorées. J'ai utilisé ce terme comme métaphore d'une situation musicale dans laquelle le pianiste soliste (qui joue aussi du célesta) serait une sorte d'explorateur se trouvant au centre de quatre continents, représentés par quatre groupes d'orchestre suivant les repères cardinaux suivants : au nord-est sont situés des instruments graves (cor anglais, basson, cor, deux altos et deux violoncelles), au nord-ouest des instruments aigus (deux flûtes et trois violons) ; au sud-est et au sud-ouest sont placés deux ensembles composites. Les régions du nord sont le lieu d'une relation distante avec le soliste. Elles représentent plutôt l'orchestre traditionnel tel qu'on le connaît dans les concertos, jouant soit en accompagnement du soliste, soit en tutti. Les régions du sud, quant à elles, sont le lieu propice pour une collaboration de proximité et d'échanges. Le soliste y développe une relation de musique de chambre, dialoguant parfois avec l'un et l'autre des groupes, parfois avec les deux. » L'œuvre propose de repenser les différents genres (musique soliste, musique concertante, musique symphonique, musique de chambre) et les différentes formes, ainsi que la place qui est occupée par l'instrument soliste au sein de ces formes. L'ensemble de cette pièce adopte la forme sonate précédée d'une grande introduction. Peu de temps après l'avoir achevée, Manoury apprit la mort de Stockhausen, « grand explorateur, s'il en est, de continents musicaux nouveaux », et qui, à travers l'ensemble de son œuvre, avait ouvert la voie à l'utilisation de l'espace acoustique (Gruppen, Carré) ; il décida alors de lui donner le titre Terra Ignota (in memoriam Karlheinz Stockhausen), précisant que cette pièce, comme certaines partitions de Stockhausen, présente différents groupes instrumentaux spatialisés. Terra Ignota a été créé le 18 février 2008 au théâtre des Bouffes-du-Nord à Paris, par l'Orchestre Poitou-Charentes sous la direction du pianiste-chef d'orchestre Jean-François Heisser.

Philippe Manoury a prolongé ce travail sur la musique instrumentale avec Instants pluriels, pour deux groupes instrumentaux (2008), Synapse, pour violon solo et orchestre (2010), In situ, pour orchestre spatialisé et ensemble (2013, festival de Donaueschingen).

Dans son processus compositionnel, Philippe Manoury adopte[...]