PINCHEMEL PHILIPPE (1923-2008)
Parmi ses contemporains, peu ont été aussi complètement et fondamentalement géographes que Philippe Pinchemel. Acquise au lycée de sa ville natale, Amiens, sa vocation est précoce et il est agrégé de géographie en 1945. Puis il suit un itinéraire classique pour sa génération : de la géomorphologie à la géographie humaine, avec une forte implication dans l'aménagement du territoire, et de Lille à la Sorbonne. Nommé professeur à Paris en 1965, il fait sa carrière à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne jusqu'en 1991. Dès ses débuts, alors que naissent les comités d'expansion régionale, il mène des enquêtes sur le niveau d'équipement du Nord, puis il participe à des instances nationales comme le Commissariat au Plan, la D.A.T.A.R., le Conseil général des Ponts et Chaussées (1971-1985). Mais là où d'autres se spécialisent ou poursuivent un seul engagement, Philippe Pinchemel assume, avec des inflexions dans le temps, tant la question de la formation à (et par) la géographie, que celle de la valeur pratique de celle-ci ou celle de ses méthodes et de ses concepts clés.
Contre toute dilution de la discipline dans les sciences sociales, Philippe Pinchemel milite pour une définition de l'objet de la géographie. Mais il recherche le dialogue interdisciplinaire et la rencontre avec les praticiens. Il aime le travail collectif et il est un grand directeur de collection chez Armand Colin. Son investissement le plus constant a porté sur la ville et l'urbanisation. Sa rencontre avec l'urbanisme s'est marquée, notamment, par ses cours à l'Institut d'urbanisme de l'université de Paris. Il a conduit nombre de recherches sur l'urbain et a publié réflexions critiques et « humeurs », souvent inspirées des modèles britanniques, sur les campus, les grands ensembles, les villes nouvelles, l'organisation de l'agglomération parisienne, l'urbanisation diffuse, etc.
À partir du début des années 1970, il apparaît comme un innovateur, comme un passeur et une référence pour la « nouvelle géographie ». Pionnier en histoire et épistémologie de la géographie, il a créé alors une équipe de recherche spécialisée, associée au C.N.R.S., et un D.E.A. d'analyse théorique et épistémologique en géographie. Président-fondateur d'une commission d'histoire de la pensée géographique au sein de l'Union géographique internationale (1968-1980), il a tenu à la rattacher également à l'Union internationale d'histoire et de philosophie des sciences.
Par ses initiatives en matière de traduction, il a rendu accessibles les classiques de l'analyse spatiale anglophone (Peter Haggett, Brian Berry). En soutenant la revue L'Espace géographique créée en 1972 par Roger Brunet, en participant aux débats des « nouveaux géographes » et par sa propre réflexion, il a accompagné de son autorité les renouvellements de la discipline.
Théoricien, Philippe Pinchemel a traduit son souci de recentrer la géographie sur un objet, l'« interface terrestre ». Dans La Face de la Terre, co-écrit avec son épouse Geneviève, il construit l'intelligibilité du milieu géographique en combinant deux processus, l'« anthropisation » ou artificialisation du milieu naturel, et la spatialisation ou « mise en espace » par laquelle les sociétés humaines produisent leur territoire en le nommant, en le divisant, en le polarisant, en le dimensionnant selon leur maîtrise des distances.
La Terre écrite traduit enfin sa passion pour les paysages et pour les formes géographiques. Philippe Pinchemel les a saisies sa vie durant en « mitraillant » la Terre depuis le hublot d'un avion, et il en a exploré tous les modes d'approche, de la description savante au film et à l'image satellitale.
Philippe Pinchemel a toujours lié la pensée, l'action et la représentation[...]
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Écrit par
- Marie-Claire ROBIC : directeur de recherche, C.N.R.S.
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