SOLLERS PHILIPPE (1936-2023)
Philippe Sollers (Philippe Joyaux, de son vrai nom) est né à Talence (Gironde) le 28 novembre 1936. Hanté par une question somme toute traditionnelle : Qui suis-je ?, il apparaît, dès son premier texte, Le Défi jusqu'à Paradis et au Portrait du joueur, comme un des écrivains contemporains les plus prolifiques. De l'esthétisme valéryen à l'engagement au côté du Parti communiste français, puis du maoïsme à l'extériorité de l'artiste baudelairien revendiquant le droit de se contredire, il n'a cessé de multiplier les images de lui-même. Par ailleurs, son itinéraire a longtemps été indissociable de celui de la revue Tel Quel où, à partir de 1960, Sollers et ses amis (Marcelin Pleynet, Denis Roche, Jacques Henric) aidèrent à la relecture de Sade, Bataille, Artaud, Lautréamont, ou firent écho aux écrits de Barthes, Derrida, Lacan et aux travaux de Julia Kristeva que l’écrivain épousa en 1967..
Il semble que le projet global de Philippe Sollers soit celui d'une autobiographie totale, à la fois éclatée et totalisante, fondée sur la substitution du langage comme fiction (somme de fictions, d'histoires et d'Histoire, lieu d'une multiple expérience : psychique, physique, idéologique, etc.) à l'illusion du Je comme « instance unaire », imposée, figure de la Loi, de la société, du dogme, du déjà-dit, etc. C'est pour cette raison qu’il fut amené un temps à récuser ses premiers textes (Le Défi, 1957 ; Une curieuse solitude, 1958 ; Le Parc, 1961), qu'il considéra comme liés inconsciemment à l'« idéologie dominante », et, à la limite, non écrits, puisque selon sa formule, « qui n'écrit pas est écrit ».
C'est avec Drame (1965), salué par un article de Barthes, que se précise cette mise en question de l'unité du sujet dans et par le langage : l'écriture, qui est un geste, n'exprime pas le sujet mais le traverse, lui ôte tout centre et toute origine, révèle ce qui dans le Je vient du Il, du On, du Nous. Projet dont Logiques (1968) fera la théorie en désignant et en commentant les pères de la « rupture » moderne : Lautréamont et Mallarmé, Artaud et Bataille, mais aussi Marx et Freud.
À partir de 1968, et avec Nombres, se déclare la liaison de l'activité signifiante (l'écrivain est un producteur du texte), du matérialisme historique et du projet de transformation politique et sociale. Le texte apparaît comme une scène où se jouent le conflit de l'individu et de la masse, de l'Occident et de l'Orient. Alors que la Chine fait irruption dans les mentalités et dans la politique, Sollers va accompagner ce mouvement dans sa propre production. Il est tout près de cette forme lyrique et épique, de cette forme au-delà de toute structure, qui va éclater dans Lois (1972), puis dans H (1973). À la mise en scène de l'écriture succèdent la problématique de la voix, un attachement plus grand au rythme, à l'accentuation, à la musique polyphonique qui fait définitivement, et symboliquement, éclater les limites du sujet. C'est ici que Sollers réalise vraiment son projet d'autobiographie totale, exprimant à la fois l'extériorité intériorisée des discours sociaux, mythes, textes sacrés, écritures diverses de la Loi, et le flux de la pulsion : cris, chuchotements, dialogues, invectives, etc. « Sans Freud, je n'écris pas. » Si l'écriture est en effet une sorte de cure qui dénoue les nœuds du sujet social, elle devient aussi une « contre-parole » où s'exerce, selon une « hallucination réglée », le polylinguisme selon Bakhtine. Paradis (1981) continue dans cette voie de la « délivrance » par laquelle le sujet-écrit se situe désormais partout plutôt que nulle part. Commencé en 1974, il fait l'objet de parutions régulières dans Tel Quel. Dans ce « polylogue[...]
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Écrit par
- Daniel OSTER : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, écrivain
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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Autres références
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