TOBIAS PHILLIP VALENTINE (1925-2012)
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Paléontologue sud-africain reconnu pour ses travaux concernant les origines et l'évolution de l'homme.
Phillip Valentine Tobias est né à Durban, dans la province du Natal de la République d'Afrique du Sud, le 14 octobre 1925, l'année de la publication de la description du premier australopithèque (Australopithecus africanus) par Raymond Dart. Il fait dans cette ville ses études primaires et secondaires. Puis, à la suite du décès de sa sœur atteinte d'un diabète, il s'oriente vers la médecine : il cherche à comprendre pourquoi certains membres de sa famille sont touchés par cette maladie et pas d'autres (dont lui). Il s'intéresse donc particulièrement à l'étude des tissus biologiques, la physiologie et la génétique. Il prépare des diplômes en médecine et en chirurgie qu'il obtient en 1950. En 1953, il soutient à l'université de Witwatersrand à Johannesburg une thèse en génétique sous la direction de Joseph Gillman. Il effectue ensuite un séjour au Royaume-Uni, à l'université de Cambridge, puis aux États-Unis (notamment dans les universités de Chicago et du Michigan, à Ann Arbor).
C'est au cours de ses études à l'université de Witwatersrand qu'il rencontre Raymond Dart, qui dirige à l'époque le laboratoire d'anatomie de cette université. C'est probablement à ce moment-là qu'il commence à s'intéresser aux origines de l'homme. En 1959, il lui succède à la chaire d'anatomie de l'université de Witwatersrand, poste qu'il occupera jusqu'à sa retraite en 1993. Puis Phillip Tobias est nommé professeur émérite à la School of Anatomical Science de cette même université. Professeur invité dans de nombreuses institutions de par le monde (Chine, États-Unis, Autriche, Italie), il a reçu au cours de sa carrière de nombreux prix dont, en 1987, le prix Balzan qui a pour but d'encourager la culture, les sciences et les initiatives humanitaires les plus méritoires en faveur de la paix et de la fraternité entre les peuples.
Phillip Tobias a été un chercheur polyvalent à l'esprit d'ouverture et curieux comme l'attestent les différents sujets qu'il a traités : évolution et paléontologie humaine, anthropologie culturelle, sociologie des sociétés passées et présentes, étude sur la croissance humaine, pathologie, politique de santé, problème des races humaines. Parallèlement à ses publications académiques, mais aussi à cause de ses travaux sur la diversité humaine – et en particulier l'étude des San et des Tonga, peuples d'Afrique australe –, Phillip Tobias a lutté contre le racisme, l'apartheid et en a dénoncé le non-fondement scientifique. Malgré ce combat, il a été lui-même sanctionné en tant que sud-africain, étant exclu de plusieurs réunions scientifiques internationales. Ainsi, en 1985, il apprend qu'il ne pourra pas participer au Congrès mondial d'archéologie qui doit se tenir à Southampton (Angleterre) l'année suivante, les organisateurs britanniques lui en refusant l'accès comme à tous les Anglais et Américains qui travaillaient en Afrique du Sud. Ce qui a donné lieu à une chronique sur la préhistoire et la discrimination politique qu'il publie dans L'Anthropologie en 1985. Dans les années 2000, il a pris parti contre les politiques gouvernementales sud-africaines concernant le sida.
Phillip Tobias reste connu pour ses travaux sur les origines et l'évolution de l'homme. En 1964, avec Louis Leakey et John Napier, il contribue à définir un nouveau genre d'hominidé, Homo habilis, à l'époque le plus ancien représentant du genre Homo. Même si ce taxon a été critiqué depuis lors par certains auteurs, ce n'est pas le travail original qui a été mis en cause, mais plutôt le fait que ce groupe soit devenu un fourre-tout, de nombreux fossiles souvent fragmentaires ou mal conservées y étant rapportés. Phillip Tobias publiera, en 1991, un énorme volume consacré à Homo habilis, dans la pure tradition de l'étude anatomique détaillée.
En 1966, Phillip Tobias relance les recherches fossiles dans les grottes de Sterkfontein. Celles-ci, situées à moins de 50 kilomètres à l'ouest de Johannesburg, avaient livré, en 1936, les premiers restes d'hominidés fossiles adultes du continent africain. Toute sa vie, il restera très impliqué dans les recherches effectuées sur ce site paléontologique (inscrit en 1999 au patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O.), participant encore, en 1995, à la publication de Little Foot (fossile d'australopithèque le plus complet jamais découvert, mis au jour en 1994), qui confirme l'idée que des australopithèques pouvaient à la fois être bipèdes au sol et arboricoles.
En 1967, il publie une imposante monographie sur Zinjanthropus boisei, un australopithèque découvert en 1959 par Mary Leakey dans les gorges d'Olduvai en Tanzanie, ce qui lui vaudra en partie son grade de doctorat en sciences de l'université de Witwatersand. Ce travail, remarquable par la précision anatomique et son illustration, fait référence et est incontournable pour l'étude des australopithèques dits robustes. Phillip Tobias s'est aussi impliqué pour rapatrier en 2002, en Afrique du Sud, les restes de Saartjie Baartman, qui furent exposés au musée de l'Homme à Paris jusqu'au début des années 1970. Cette femme bochiman avait été amenée en Europe au début du xixe siècle et exposée comme objet de curiosité ethnologique de son vivant et comme curiosité anatomique après sa mort. Phillip Tobias s'est toujours battu pour la dignité et le respect de l'individu au-delà des couleurs de peau et des cultures.
Un aspect peut-être moins connu des travaux de Phillip Tobias concerne son intérêt pour l'homme de Piltdown. Il était convaincu qu'Arthur Keith, anatomiste écossais respecté, était le responsable de cette célèbre fraude scientifique. Ce dernier rejetait Australopithecus (décrit par Raymond Dart en 1925) comme ancêtre puisqu'il avait été trouvé en Grande-Bretagne un ancêtre plus « convenable » en l'homme de Piltdown. Phillip Tobias voulait rendre justice à Raymond Dart. C'est pourquoi il a publié un certain nombre d'articles sur le sujet.
Phillip Tobias, qui a été présenté trois fois au prix Nobel au cours de sa carrière, s'est éteint à Johannesburg le 7 juin 2012 des suites d'une longue maladie. Une figure de la paléontologie humaine a disparu, et avec elle toute une époque.
Bibliographie
L. S. B. Leakey, P. V. T. Tobias & J. R. Napier, « A new species of the genus Homo from Olduvai Gorge », in Nature, no 202, 1964
P. V. T. Tobias, Olduvai Gorge, vol. 2, « The Cranium and Maxillary Dentition of Australopitheus (Zinjanthropus) boisei », Cambridge University Press, 1967 ; « La Préhistoire et la discrimination politique », in L'Anthropologie, no 89, 1985 ; Olduvai Gorge, vol. 4, « The skulls, Endocasts and teeth of Homo habilis », Cambridge University Press, 1991.
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Écrit par
- Brigitte SENUT : professeure de première classe au Muséum national d'histoire naturelle
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