PHILOLOGIE
La Renaissance
Cette mentalité commence à changer dès le xiie siècle, en Italie, avec la découverte de la médecine antique (Salerne) et du droit romain (Bologne) : le recours au texte – et à un texte sûr, exigé par ces sciences (et bientôt par d'autres, en un temps où toute science est d'abord livresque) – ramène en partie à l'ancienne attitude philologique. Dès la fin du xiiie siècle se multiplient les identifications de manuscrits antiques ; au xive siècle, de grands secteurs de la « littérature » (scientifique ou poétique) de l'Antiquité réapparaissent ainsi au jour. La chute de Constantinople chasse vers l'Occident des savants byzantins, qui y introduisent leurs méthodes de lecture. Léonce Pilate enseigne le grec à Florence après 1360 ; en 1396, Manuel Chrysoloras y reçoit une chaire. Quoique l'Antiquité grecque demeure, jusqu'au xviiie siècle, mal connue et attire peu les curiosités, la philologie a repris vie. Elle constitue le fondement de l' humanisme, en Italie d'abord (de Pétrarque à Poliziano), puis dans le reste de l'Europe. La littérature antique est sentie comme fournissant les plus parfaits modèles d'humanitas (Érasme) ; d'où l'importance que prend à nouveau la notion d'antiquité des textes (dont l'imprimerie permet de multiplier les éditions) ; à quoi s'ajoute, sous l'influence de l'esprit scientifique nouveau, le souci de déterminer les sources : souci qui contient en germe l'idée d'une histoire des formes d'expression. On ressent avec acuité l'opposition entre le passé et le présent, mais on tente de la surmonter en revivant le passé, tel qu'il fut, dans le cadre du présent.
La philologie est à la fois l'étude des mots (explanatio) et des choses (herméneutique). Elle comporte deux tendances, l'une plutôt formelle, l'autre plutôt historique et encyclopédique. La première domine chez Jules-César Scaliger (1484-1558), Italien fixé en France, auteur d'une Poétique, tandis que la seconde l'emporte chez son fils, Joseph-Juste (1540-1609), l'un des plus grands philologues de son temps, lanceur d'idées, créateur de l'épigraphie, premier à avoir pressenti l'histoire de la langue latine et, par la chaire qu'il occupa à Leyde, le promoteur de l'école hollandaise du xviie siècle (Vossius, Heinsius, Grotius). L'esprit de Scaliger devait renaître, au début du xviiie siècle, à Cambridge, chez Richard Bentley (1662-1742), avec qui la critique formelle des textes devient le centre vivant des études philologiques. En France, la tendance encyclopédique domine : Guillaume Budé (1468-1540) est à l'origine de la création du Collège de France, où l'on enseigne le grec et l'hébreu à côté du latin ; Robert Estienne (1503-1559) et son fils Henri (1531-1598), imprimeurs et humanistes, constituent le double Thesaurus de la langue latine et de la grecque. Quelle que soit l'orientation des recherches, la personnalité de l'éditeur et du critique se trouve inextricablement liée à celle de l'auteur, dont l'œuvre est ainsi reproduite : sensibilité stylistique, flair linguistique, goût jouent en cela un rôle prépondérant. Le but de l'opération philologique consiste à faire, de l'acte de lecture, une démarche assurée ; à permettre au lecteur de revivre le texte avec l'esprit de l'auteur même.
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Écrit par
- Paul ZUMTHOR : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal
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Média
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