PHILOLOGIE
Première moitié du XIXe siècle
La seconde version du grand livre de Vico fut traduite en français par Michelet sous le titre de Principe de la philosophie de l'histoire (1827) : titre inexact mais significatif, car le concept qu'il exprime est alors familier aux plus grands philologues, spécialement en Allemagne. Le philosophe Schelling (1775-1854) assigne à la philologie la tâche de percevoir et d'exposer, en vertu d'une intuition quasi poétique, l'histoire des œuvres de l'art et de la science. L'helléniste F. A. Wolf (1759-1824) fait alors figure de chef de l'école philologique allemande : à la suite de son maître C. Heyne (1759-1812), il substitue à la traditionnelle notion d'« humanités » l'idée d'une « science de l'Antiquité » (Altertumwissenschaft) qui tend à saisir l'étude gréco-latine comme totalité. A. Boeckh (1785-1867) atteint, dans cette voie, à une vue philosophique de son objet : les faits historiques sont en eux-mêmes un savoir, ils impliquent une idée, que la philologie a pour but de découvrir et d'expliciter. La spécificité de cette science provient de ce qu'elle porte ainsi sur le contenu de la conscience que, dans le passé, l'homme eut de lui-même. Sa validité se fonde sur la continuité du langage, d'où sa relative indépendance par rapport aux autres sciences historiques. Une attitude comparable se retrouve chez W. von Humboldt (1767-1835), chez F. Schlegel (1772-1829), orientaliste et humaniste, chez le germaniste J. Grimm (1785-1863). En France, où F. Raynouard (1761-1836), J. Sismondi (1773-1842), puis P. Paris (1800-1881), F. Michel (1809-1887) et d'autres ont entrepris un vaste dépouillement de textes médiévaux et formulent les premières interprétations globales, l'arrière-plan philosophique est beaucoup moins sensible. Nulle part, du reste, la critique formelle ne perd ses droits : elle constitue le fondement réel de tout travail philologique. K. Lachmann (1793-1851), helléniste, latiniste et germaniste, en affine les méthodes et expose, dans la préface de son édition du Nouveau Testament grec (1842), puis dans celle de sa reconstruction de Lucrèce (1850), une technique de classification des manuscrits et d'établissement des textes. Cette méthode, dite des fautes communes (déjà suggérée par J. A. Bengel en 1734, mais qui ne fut scientifiquement appliquée qu'à partir de la fin du xixe s.), permet de dresser un arbre généalogique (stemma) des manuscrits d'une œuvre donnée, arbre permettant de dégager des critères de valeur et des principes de reconstitution. Fortement attaquée, au début du xxe siècle, spécialement par des savants comme Joseph Bédier, la méthode lachmanienne, modernisée, est encore largement utilisée aujourd'hui. Il reste que, dans l'usage général des années 1815-1850, le mot « philologie » désigne tantôt une sorte de science universelle de la littérature, tantôt une « étude générale des langues » (définition de Schlegel en 1818), tantôt l'étude des documents écrits et de leur transmission ; vers 1840 apparaît l'expression de « philologie comparée ».
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Écrit par
- Paul ZUMTHOR : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal
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