PHILOLOGIE
La grande époque
Cet ensemble trop vaste de disciplines ne pouvait pas ne pas éclater, par l'effet de l'accroissement de la matière et du perfectionnement même des méthodes, contribuant à dissocier des problèmes jadis connexes. La période qui s'étend de 1860 à 1920 environ, âge d'or des études philologiques, a mené à bien la tâche gigantesque de restituer à nos yeux et de nous rendre familier à peu près tout ce qui a matériellement survécu jusqu'à nous des multiples civilisations de l'écriture. Ce travail a été, pour l'essentiel, accompli dans l'esprit positiviste et scientiste de la fin du xixe siècle : d'où une forte tendance au repliement sur le « fait » (texte et source) et une sorte d'atomisation de la matière, qui en a favorisé la dispersion entre des branches d'études divergentes. C'est ainsi que s'impose progressivement, dès avant 1900, une spécialisation d'où finira par sortir une pluralité de sciences pratiquement autonomes. G. Gröber, vers 1880, distinguait une « philologie réelle » (Sachphilologie), liée aux textes, et une « philologie pure », consacrée à l'étude des documents anciens de la langue. La distinction la plus nette s'opéra (sauf quant aux langues classiques) entre ce qui est de la langue comme telle et ce qui est la littérature comme expression. Cette division, phénomène tout à fait nouveau, s'accusa dès lors de plus en plus : elle s'inscrivit, en particulier, dans les structures de l'enseignement universitaire. Tandis que se dégageait, en partie grâce aux néo-grammairiens, une linguistique bientôt indépendante, l'histoire de la littérature se constituait avec ses propres méthodes et son idéologie particulière. De la critique des textes se dégageaient la paléographie et la codicologie ; de leur interprétation, la stylistique. Les réactions de certains contre ce qui leur apparaissait comme un émiettement freinèrent à peine cette évolution. En 1947 encore, le stylisticien belge S. Étienne, proposant une Défense de la philologie, définissait cette dernière comme l'étude irremplaçable et irréductible du texte dans son rapport interne avec l'auteur.
Il n'en reste pas moins que, durant le demi-siècle en question, ont enseigné et publié la plupart des philologues dont l'œuvre forme la base de nos connaissances historiques dans les domaines de la langue et de la littérature ; ainsi, parmi les romanistes, G. Paris (1893-1903), G. Bertoni (1878-1942) et G. Gröber. C'est alors qu'ont été constituées la plupart des grandes synthèses qui, même si elles ont considérablement vieilli, demeurent fondamentales sur bien des points : le Grundriss der romanischen Philologie (1889-1898) de G. Gröber, le Grundriss der germanischen Philologie (1891-1902) de H. Paul, la Realenzyclopädie der Altertumwissenschaft de A. Pauly et G. Wyssowa. C'est alors que furent lancées les nombreuses revues savantes, dont beaucoup subsistent encore et conservent dans leur titre le souvenir de la « philologie » de 1900 : Zeitschrift für romanische Philologie, Revue belge de philologie et d'histoire, Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, Neophilologus, Neuphilologische Mitteilungen, Modern Philology, Classical Philology, L'Année philologique, Cultura neolatina, Romania et bien d'autres. Le centre d'intérêt de ces publications, quelle que soit la manière dont elles se sont rénovées, demeure l'établissement, l'édition et l'interprétation linguistique ou historique de textes rédigés dans une langue vieillie, appartenant à des époques plus ou moins reculées de notre passé.
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Écrit par
- Paul ZUMTHOR : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal
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