PHILOSOPHIE ANALYTIQUE
Situation et portée du mouvement analytique
Aucune doctrine cohérente n'a fait de ce mouvement analytique une école. Dans un milieu relativement autonome, d'intense remise en question, une structure de discussion apparaît dès le début entre des tendances mathématicienne (Russell, Ajdukiewicz), phénoméniste (Moore, Ayer, Kotarbinski) et phénoménologico-linguistique (Austin, Ryle) ; un dialogue incessant où Russell répond à Stuart Mill, le deuxième Wittgenstein au premier, Russell au deuxième Wittgenstein et à Russell lui-même. Mais cette confrontation, qui s'étend au rameau polonais et américain, n'était possible qu'en vertu d'une certaine communauté de vues sur la nature et le rôle de la philosophie. L'archéologie du mouvement révèle que la théorie implicite de cette pratique renvoie à un acquis définitif de la philosophie logique, à un renversement de la théorie traditionnelle des concepts et des propositions. C'est elle peut-être qui est au fond de l'incompréhension mutuelle qui existe entre analystes et phénoménologues.
Il ne suffit donc pas de dire que la philosophie analytique traduit les questions traditionnelles sous une forme linguistique (on ne demande plus si la réalité est faite de substances ou de propriétés de substances, mais si sujets et prédicats signifient de la même façon). Si la révolution analytique n'était qu'une affaire de commodité, elle se bornerait à systématiser une vieille habitude. Aristote et Abélard savaient disputer en termes alternativement ontologiques et linguistiques. Elle n'est pas non plus l'installation dans les verts pâturages d'un domaine réservé, caractérisée par une certaine façon, concurrente de la phénoménologie, de faire vœu de pauvreté en matière de connaissance : on savait depuis Brentano distinguer recherche empirique et recherche conceptuelle. Ce qui est nouveau, ce n'est même pas la tâche analytique comme telle – après tout, dès qu'on récuse l'adage moniste selon lequel le vrai, c'est le tout et l'absolu, la philosophie se donne essentiellement comme analyse –, mais c'est à la fois le présupposé philosophique de l'analyse et l'unité d'examen analytique.
Le présupposé philosophique de l'analyse
Quand l'éditeur d'Analysispublie une sélection d'articles sous le titre Philosophy and Analysis(1954), il emprunte son épigraphe au Tractatus : « L'objet de la philosophie est la clarification logique de la pensée. » Voilà bien une déclaration à laquelle tous les analystes pouvaient souscrire. Les philosophes diffèrent quant au point de départ qu'ils donnent à la philosophie. L'innovation cartésienne consiste peut-être à donner la première place à la théorie de la connaissance et un sens transcendantal au Je pense ; la philosophie analytique met sûrement la logique au commencement de la philosophie. Son acte de naissance est une double critique logique : critique pluraliste des relations internes, critique antipsychologiste de la signification meinongienne (le Husserl des Prolégomènes est peu connu). C'est pour résoudre les énigmes du réalisme logique que l'analyse formelle s'est développée, pour se libérer du monisme de la totalité, étranger au fait de la science, que l'analyse a cherché son principe dans la forme de toute connaissance qu'est la logique : universalité du principe de non-contradiction, primat du jugement de relation, externalité des relations. « Les grandes lignes de la philosophie analytique, écrit Ryle, ne peuvent être comprises que de celui qui a étudié les progrès fondamentaux de notre logique. Ce progrès est en grande partie responsable du large gouffre qui a séparé en ce siècle la philosophie anglo-saxonne de la philosophie continentale. » Ryle peut bien reprocher aux logiciens d'avoir[...]
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Écrit par
- Francis JACQUES : professeur à l'université de Rennes
- Denis ZASLAWSKY : docteur en philosophie de l'université Paris-I, chargé de cours à l'université de Paris-I, ancien assistant au Collège de France
Classification
Médias
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