PHILOSOPHIE (notions de base)
En deçà ou au-delà de la science ?
Toute philosophie qui se prétend « scientifique » doit donc être dénoncée en tant qu’idéologie. Mais, sans se confondre avec la science, la philosophie en est cependant inséparable, et c’est ce qui rend si complexes leurs relations, qui ont pris de multiples tournures au cours de l’histoire.
Deux types de relations entre science et philosophie ont certainement été dominantes dans l’histoire de la pensée. Tout d’abord, pour certains penseurs, la philosophie développe ses interrogations là où la science est contrainte de mettre un terme aux siennes. Quand les savants ont répondu à nos principales questions sur la nature, bien des inconnues demeurent, qui concernent surtout l’origine des choses ou leur sens – ce qui veut dire à la fois leur signification et leur destination. « Au-delà des sciences », comme l’indique le préfixe grec méta- du mot « métaphysique », la philosophie prend le relais et propose des constructions intellectuelles audacieuses qui vont parfois jusqu’à prétendre au savoir absolu. À l’inverse, d’autres penseurs ont surtout demandé à la philosophie de mener ses investigations « en deçà » des sciences, soit pour donner à celles-ci le fondement qu’elles ne peuvent s’accorder à elles-mêmes, soit pour décrire les conditions préalables à toute recherche scientifique.
En ce qui concerne les fondements, René Descartes (1596-1650) est exemplaire. Il a illustré sa conception par une métaphore restée célèbre : l’image de l’arbre. Dans les Principes de la philosophie (1644), il écrit : « Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique, et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. » Afin de répondre aux doutes des sceptiques menaçant la science dans son existence même, il convient d’établir des principes irréfutables sur lesquels les savants pourront s’appuyer pour conduire leurs investigations. Le premier de ces principes sera le « Je pense », intuition irréfutable pour Descartes, puisque douter que l’on pense, c’est encore penser. Assurées de la solidité de leurs fondations, les sciences pourront se développer sans craindre ni les attaques des sceptiques ni les interdits des religieux. Grâce aux découvertes des savants, l’homme pourra acquérir la maîtrise de la nature et viser le bonheur qu’une sagesse en harmonie avec nos connaissances rendra parfaitement envisageable.
Se réclamant de Descartes, le courant phénoménologique explorera au xxesiècle une autre possibilité pour la philosophie de se situer « en deçà » des sciences. Alors que l’essor extraordinaire de celles-ci depuis l’époque de Descartes et de Galilée (1564-1642) a engendré des dérives scientistes selon lesquelles le monde sensible ne serait qu’un ensemble d’illusions inconsistantes, Edmund Husserl (1859-1938) vient rappeler aux savants qu’aucune découverte ne serait possible sans prendre appui sur le monde intérieur de la subjectivité. En France, Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), dans sa Phénoménologie de la perception (1945), insistera davantage encore que son maître Husserl sur le primat de la subjectivité. « Tout ce que je sais du monde, même par la science, je le sais à partir d’une vue mienne ou d’une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire. » Comment, en effet, l’affirmation du physicien selon laquelle le rouge correspond à une vibration dont la longueur d’onde est de 525 à 570 nanomètres (109 mètres) pourrait-elle être compréhensible si ce savant ne faisait pas[...]
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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