EXISTENCE PHILOSOPHIES DE L'
Le « Dieu perdu »
Comment se fait-il qu'une pensée originairement religieuse, celle de Kierkegaard, se soit transformée en une philosophie non religieuse et même antireligieuse ? À cette observation, on peut répondre que, s'il y a une branche non religieuse et une branche a-religieuse de la philosophie de l'existence, la tendance religieuse persiste toujours, notamment avec Gabriel Marcel.
La branche a-religieuse, si on définit ainsi la pensée de Heidegger, s'approche du religieux. Heidegger pense que le problème posé par l'idée de Dieu n'est pas un problème qui puisse se résoudre directement ; il faut passer par l'idée du divin. Cette affirmation même, appuyée sur certains poèmes de Hölderlin, montre la proximité de l'idée religieuse.
Au centre de la philosophie de l'existence apparaît l'idée de la mort de Dieu. Mais cette idée est susceptible de multiples significations. Quand Hegel parle du Dieu mort, il cite ce passage de Pascal : « La nature est telle qu'elle marque partout un Dieu perdu et dans l'homme et hors de l'homme. » Mais ce qu'il voit dans l'affirmation ou, pour prendre son mot, dans le sentiment que Dieu est mort, c'est seulement un moment, et pas plus qu'un moment, de la plus haute idée du concept pur, de l'infinité ; elle se présente comme l'abîme du néant où tout être s'enfonce et qui cause ainsi la douleur infinie. Hegel, à cet instant-là, était tout près de la méditation de son ami Hölderlin : à la tristesse infinie devait succéder le jour de fête, au vendredi saint spéculatif, la pâque de la révélation.
Le jeune Hegel, Hölderlin, Heidegger tournent également autour de l'idée du Dieu mort. Nietzsche, en un même mouvement, constate la mort de Dieu et invite l'homme à le tuer (le temps n'est pas encore venu où l'on déclarera la mort de l'homme). Pour Sartre la mort de Dieu signifie l'impossibilité de joindre l'en-soi et le pour-soi.
Nous voici donc revenus à l'idée de l'être. C'est qu'il y a une multiplicité des formes de l'être, de son équivocité. Chez Kant, on trouve la séparation entre la chose en soi et les phénomènes qui sont en relation les uns avec les autres et avec l'esprit humain. Le phénomène se voit dans l'expérience et est ordonné par les formes de l'intuition, les catégories de l'entendement et même les idées de la raison. De la chose en soi, on ne peut rien dire, du moins du point de vue de la raison théorique. C'est par le devoir, d'une part, c'est-à-dire dans la raison pure pratique, et par la considération des organismes vivants et des œuvres d'art, d'autre part, que nous arrivons tant à l'action raisonnable qu'à la vision esthétique et à la connaissance du vivant. Dans quelle mesure n'y a-t-il pas chez Kant une préfiguration des philosophies de l'existence ? L'homme moral est autonome : il se donne à lui-même une loi ; dans sa confrontation avec les œuvres d'art et avec les organismes qui sont des totalités autonomes, l'homme peut retrouver par le jugement réfléchissant les unités et les totalités, les finalités qui semblaient d'abord exclues.
Si, chez Kant, l'être a de multiples significations, on peut dire qu'il en est de même pour Jaspers et pour Heidegger. On ne parle pas ici de Kierkegaard, qui plutôt que philosophe se veut penseur du religieux. Bien qu'il se soit finalement tourné contre Luther, sa pensée est sur certains points très proche de la sienne. « La pensée de Luther, dit-il, est toute centrée sur le pour-moi. » Dès 1804, Kierkegaard écrit : « Le Christ n'enseigne pas, il agit ; il est. » Nous ne sommes pas si loin qu'il le semblerait d'abord de la pensée du Stagyrite : « L'existence, écrit-il d'après l'enseignement d'[...]
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Écrit par
- Jean WAHL : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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Médias
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