UN PHILOSOPHIES DE L'
Quelques modèles d'unité
Il est maintenant certain qu'il y a autant de manières d'unifier que de systèmes philosophiques. On se bornera à signaler les modèles les plus caractéristiques.
Appelons doctrines pluralistes les philosophies les moins unifiantes. Elles renoncent à toute origine unitaire ou bien multiplient à l'infini les principes. Il y a autant de centres que de points de vues possibles. Et la sagesse est de renouveler indéfiniment la perspective sans privilégier un ordre quelconque. On peut voir une forme fruste de ce genre de démarche dans l' atomisme de Démocrite, d'Épicure et de Lucrèce. Autant de principes que d'atomes. On en trouverait de nos jours chez Jacques Derrida une expression plus subtile.
Un autre style de philosophie limite le nombre des principes. Refusant à la fois l'unité et la pluralité indéterminée, il professe souvent le dualisme. Tout ce qui existe serait formé par le conflit et la synthèse, plus ou moins cohérente, de deux éléments, fonctions ou principes antithétiques. C'est à peu près ce qu'enseignaient plusieurs penseurs antérieurs à Socrate, par exemple les premiers pythagoriciens qui concevaient toute réalité sur le modèle des nombres et composaient ceux-ci d'infini et de déterminant (apéiron et péras). Dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, une doctrine venue d'Orient, le manichéisme, qui inspirera au Moyen Âge le catharisme des Albigeois, admet que l'univers est un compromis résultant de la rivalité du bon et du mauvais principe, de la lumière et des ténèbres. Une forme non ontologique de dualisme apparaîtra dans l'idéalisme critique de Léon Brunschvicg, mort en 1944, qui composait chaque affirmation d'une loi d'intériorité et d'une fonction d'extériorité.
On peut se demander d'ailleurs si le dualisme n'est pas originellement un monisme de la relation. Il s'appuierait sur une oscillation dialectique entre deux extrêmes aussi irréductibles qu'inséparables puisqu'ils tiendraient leur sens de leur corrélation. Dans ce cas, l'unité résiderait dans la médiation qui les lie et les oppose à la fois.
Parmi les philosophies monistes prennent place les doctrines de la totalité. Mais il faut tout de suite distinguer celles qui croient que cette totalité suffit à se réaliser elle-même et celles qui lui infusent l'unité par le rayonnement d'un Principe transcendant.
Si l'on estime que la totalité tient d'elle seule son unité et son être, on sera porté à réduire la part de sa multiplicité interne. À la limite, on soutiendra que celle-ci n'a de place que dans une optique subalterne et provisoire. Tel semble avoir été le sentiment de Parménide qui identifiait l'Être et la Pensée dans un Tout parfaitement un. Plus intrépides encore, certaines doctrines hindoues affirment que l'individu est une illusion destinée à se résoudre dans un Tout indifférencié. On a vu une parenté entre cette perspective et celle des stoïciens, qui croyaient que l'universalité des choses est constituée par le feu ou la lumière, manifestation de la Raison dont tout émane par développement immanent et en quoi tout se résorbe périodiquement. Mais la totalité stoïcienne se déploie dans des articulations nécessaires et harmonieuses dont la mentalité hindoue, moins intellectualiste, ne se soucie pas au même degré. L'univers grec a une structure plus ferme que le paysage oriental, et sa totalité est celle d'un ordre.
Plusieurs maîtres de l'école stoïcienne professaient que la raison cosmique ne pouvait se réaliser elle-même sans être la dérivation d'une Raison divine transcendante. C'est la seconde sorte des doctrines de la totalité. Parmi elles se rangent les philosophies de la création. On sait que, chez elles, l'ordre du monde tient son être et son unité[...]
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Écrit par
- Jean TROUILLARD : professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris
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