LANGAGE PHILOSOPHIES DU
Philosophies du langage
Que la philosophie du langage déborde l'épistémologie de la linguistique, l'œuvre de penseurs aussi différents que Frege, Husserl, Russell, Wittgenstein, Carnap, Ryle, Austin, Quine l'atteste amplement. Aucun d'eux ne tient l'étude empirique du langage par la linguistique pour l'unique approche du langage : on pourrait même s'étonner plutôt du peu d'intérêt que plusieurs ont pour la linguistique des linguistes. Cette dualité de l'analyse linguistique des philosophes et de la linguistique empirique s'explique : si le langage est pour le linguiste un objet spécifique, voire un système autonome de dépendances purement internes, selon l'expression de Hjelmslev, tout un ensemble de questions fondamentales sur le langage se trouvent exclues de la linguistique. D'abord le rapport du langage aux opérations logiques non réductibles à telle structure de langue ou, plus généralement, le rapport de la communication linguistique avec les autres faits de communication sociale, avec la culture en général ; ensuite et surtout le rapport du langage avec la réalité : que le langage se réfère à quelque chose d'autre que lui-même, voilà sa fonction fondamentale ; ce problème immense est celui qui peut être placé sous le titre de la référence. Or ce problème suscite un paradoxe : plus la linguistique s'épure et se réduit à la science, plus elle expulse de son champ ce qui concerne le rapport du langage avec l'autre que lui-même ; le paradoxe est visible chez Saussure ; à la relation triadique signifiant-signifié-occurrence, il substitue la relation dyadique signifiant-signifié qui tombe à l'intérieur de l'enceinte linguistique. Or, cette réduction marque l'élimination de la fonction symbolique elle-même. Benveniste le rappelle : « Le langage représente la forme la plus haute d'une faculté qui est inhérente à la condition humaine, la faculté de symboliser. Entendons par là, très largement, la faculté de représenter le réel par un « signe » et de comprendre le « signe » comme représentant le réel, donc d'établir un rapport de « signification » entre quelque chose et quelque chose d'autre » (Problèmes de linguistique générale). La science qui prend le langage pour objet n'épuise donc pas la question posée par le langage, à savoir qu'il est la grande médiation entre l'homme et le monde, entre l'homme et l'homme : « Qu'un pareil système de symboles existe nous dévoile une des données essentielles, la plus profonde peut-être de la condition humaine : c'est qu'il n'y a pas de relation naturelle, immédiate et directe entre l'homme et le monde, ni entre l'homme et l'homme ; il y faut un intermédiaire, cet appareil symbolique, qui a rendu possible la pensée. Hors de la sphère biologique, la capacité symbolique est la capacité la plus spécifique de l'être humain. » On conçoit alors qu'une philosophie du langage puisse se proposer d'étudier les prétentions du langage à représenter la réalité.
Nous commencerons par le mouvement de pensée communément appelé philosophie « analytique ». Le postulat commun aux philosophies du langage qu'on vient de considérer est que la philosophie consiste à expliquer et clarifier les systèmes conceptuels élaborés dans la sphère de la science, de l'art, de l'éthique, de la religion, etc., sur la base du langage lui-même dans lequel s'exprime la connaissance conceptuelle. C'est ainsi que la clarification du langage devient la tâche préalable et finalement exclusive de la philosophie. Toutes les questions philosophiques importantes tendent à se réduire à une explication et à une clarification de la grammaire et de la syntaxe du langage naturel.
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Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
- Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago
Classification
Médias
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