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FRANCESCAKIS PHOCION (1910-1992)

Phocion Francescakis, né à La Canée (Crète) le 10 juin 1910, décédé à Paris le 14 juin 1992, a exercé, en conjonction avec Henri Batiffol (1905-1989), une influence déterminante sur l'école française de droit international privé.

Cette branche du droit, très ancienne quoique peu connue du grand public, a pour objet les relations juridiques à caractère international qui s'établissent entre les personnes privées. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le droit international privé était encore dominé par ce qu'on appelait la doctrine particulariste, apparue peu après la guerre de 1870. Renonçant à dégager sur des bases objectives des règles communes à l'ensemble des États, cette doctrine professa, non sans d'ailleurs quelques bonnes raisons à l'origine, que le droit international privé était, pour chaque État, dans la dépendance nécessaire de ses intérêts et de son droit interne, sans qu'il y ait lieu de tenir compte des règles posées par les autres États, ni même des intérêts des personnes privées évoluant dans la société internationale. On doit à des hommes comme Henri Batiffol et Phocion Francescakis d'avoir très vite compris que, dans ce domaine comme dans les autres, la France ne pouvait plus vivre à l'heure de son clocher et que, au repli sur soi caractérisant la période antérieure, devait se substituer une attitude d'ouverture aux droits étrangers et à la collaboration internationale.

Aux auteurs du passé, Phocion Francescakis, qui vivait tous les jours la condition de l'étranger, reprochait d'avoir conçu le droit international privé exclusivement comme un droit répartiteur des souverainetés étatiques et d'avoir négligé sa fonction de régulation des intérêts des personnes privées impliquées dans les relations internationales. De ce point de vue, la leçon qui se dégage de son maître livre (La Théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, 1958) est qu'un État doit savoir, dans certaines circonstances, renoncer à régir des situations qui échappent à son emprise. Si par exemple un État est normalement fondé à désigner la loi qu'il estime apte à régir un mariage, il doit néanmoins veiller à ne pas remettre en question par ce biais un mariage considéré comme valide par les différentes lois avec lesquelles les époux avaient des liens lors de la célébration et sur l'application desquelles ils avaient pu compter.

Phocion Francescakis ne méconnaissait pas pour autant les intérêts légitimes des États. L'un de ses apports les plus marquants aura été de mettre en lumière et de théoriser l'existence dans les ordres juridiques nationaux de ce qu'il appellera tour à tour les lois d'application immédiate ou les lois de police. Alors que l'opinion dominante voyait dans la règle de conflit de lois — c'est-à-dire dans la règle désignant à l'aide d'un critère abstrait la loi applicable à chaque type de situation (par exemple la règle soumettant l'état et la capacité des personnes à leur loi nationale) — le procédé spécifique quasi exclusif du droit international privé, il fut l'un des premiers à observer la présence dans le droit de chaque État de règles impératives particulièrement importantes pour l'ordre économique et social, qui, pour réaliser les objectifs dont elles sont porteuses, réclament leur application à des situations que la règle de conflit traditionnelle aurait soumises à une loi différente. Il applaudit ainsi le célèbre arrêt du Conseil d'État qui, le 29 juin 1973, imposa à la Compagnie internationale des wagons-lits, dont le siège est en Belgique, de se soumettre néanmoins à la loi française, spécialement à la législation sur les comités d'entreprise, pour ses activités d'employeur en France.

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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