PHONOLOGIE
D'un niveau plus abstrait à la phonologie générative
Dès les débuts de la phonologie, il est apparu que certains phénomènes, qu'ils soient de concaténation ou de position, se laissaient mal analyser par l'appareil de concepts élaborés pour la phonématique. Comment rendre compte, dans « j'ai fait un [bɔ̃] », du fait que l'un des deux termes possibles, un « bon », renvoie à « bonne, bonifier, bonasse », tandis que l'autre, un « bond », est manifestement lié à « bondir », qui laisse supposer un | d | non prononcé dans certains contextes ? Il est difficile de parler d'un phonème qui n'a aucune matérialisation. De même, entre [patine], (patiner), et [patɑ], (patin), il était curieux de parler d'une séquence de deux phonèmes / i-n / se « réalisant » comme un [ɑ].
Bloomfield fut sans doute le premier à parler d'un niveau sous-jacent en phonologie, et à dégager de la combinatoire des formes audibles ce qu'il appelait les formes de base, ou théoriques, que d'autres nommeront ultérieurement les formes structurelles. Dans cette alchimie, la neutralisation dont on a parlé plus haut, mais d'une manière plus générale toutes les variations phoniques pouvaient recevoir une solution d'ensemble : des règles de transformation, d'altération descendaient du niveau structurel pour donner la représentation phonématique finale. Ainsi, le mot « fin » apparaissait-il au niveau structurel comme | fin | et recevait par des règles sa forme phonématique / fɑ /. On a dit que cette phonologie bloomfieldienne était de la morphophonologie, et lui-même l'appelait fréquemment ainsi, mais certaines règles – par exemple, d'harmonisation entre voyelles ou consonnes – ont peu à voir avec des contraintes grammaticales (exemple : seulement dans le verbe) ou avec la syntaxe. Le seul vrai problème, posé ultérieurement, a plutôt été de voir jusqu'à quel point certaines formes sous-jacentes postulées ne deviennent pas entièrement théoriques, au sens de purement conjecturales.
La phonologie générative des années 1960 est en fait une héritière de Bloomfield et de ses continuateurs, sauf probablement sur deux points. Le premier est qu'en intégrant la phonologie dans une théorie généralisée du langage Chomsky et d'autres générativistes s'obligeaient à poser quelque part un lexique théorique complet et à inscrire l'ensemble de ce lexique en formes sous-jacentes. Le second point est que l'attention portée prioritairement sur les règles d'altération a conduit les générativistes à faire l'impasse sur le niveau phonématique, celui de la valeur différentielle sensible de la phonie, pour passer directement du niveau théorique qui était le leur (le seul pertinent à leurs yeux) à des réalisations comprenant des règles que les premiers structuralistes appelaient sous-phonologiques : épenthèses purement mécaniques, variantes purement contextuelles, etc.
On peut donner un exemple des dispositifs, des générativistes, tels qu'ils sont utilisés dans ces années-là. Soit l'alternance :
Prenant comme formes sous-jacentes | sal, mar, klar |, qui existent en combinaison avec différents suffixes, S. A. Schane édictait la règle phonologique suivante : | a | accentué > | ε |, règle qu'il exprimait en traits :
En exprimant cette règle en traits plutôt qu'en phonèmes, les générativistes cherchent par généralisation à les utiliser également pour des phénomènes qui dépassent la simple prise en compte d'une alternance vocalique particulière.
L'objectif de la phonologie générative est particulièrement audacieux dans la mesure où les règles phonologiques qui régissent les variations de la structure des mots sont nombreuses et où leur champ d'application intervient le plus souvent[...]
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Écrit par
- Jean Léonce DONEUX : professeur de sciences du langage à l'université de Provence, Aix-Marseille-I
- Véronique REY : linguiste, maître de conférences en sciences du langage, directeur du département des sciences du langage, Aix-en-Provence, université de Provence-Aix-Marseille-I
- Robert VION : docteur d'État, professeur de linguistique générale à l'université de Provence-Aix-Marseille-I
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