PHOTOGRAMME
Selon ses domaines d'application, le terme « photogramme » désigne des images de nature différente. En technique cinématographique, il signifie la plus petite unité de prise de vue, l'image indivisible dont la succession, vingt-quatre fois par seconde, crée la continuité filmique. Le mot « photogramme » est aussi employé dans l'acception de « photographie », mais il s'applique alors, spécifiquement, au produit fini (l'image) et non au procédé technique permettant de l'obtenir. C'est en ce sens qu'il faut lire le titre de la célèbre revue britannique Photograms of the Year. Par ailleurs, le mot est utilisé en photographie scientifique pour dénommer un cliché résultant d'une expérience ou d'une observation pointue. Einstein parle ainsi d'un « photogramme de globules rouges ». Cet usage scientifique du terme amènera le peintre constructiviste Moholy-Nagy à récupérer le mot, en 1921, pour désigner les images qu'il obtient en chambre noire — c'est-à-dire en laboratoire — sans appareil photographique ni objectif. Selon Moholy, il faut entendre par photogramme une image née de la simple exposition à la lumière d'objets divers posés directement sur le papier sensible. C'est cette définition qui est couramment retenue aujourd'hui.
Si elle doit son nom à Moholy-Nagy, la technique du photogramme n'en a pas moins été pressentie, bien longtemps avant la découverte de la photographie elle-même, par Thomas Wedgwood et Humphrey Davy, qui publient, en 1802, une Méthode pour copier des peintures sur verre et faire des profils par l'action de la lumière sur le nitrate d'argent. Cette application originale des propriétés chimiques de la lumière peut être considérée comme une préfiguration du photogramme. À partir de 1853, Corot et les peintres de Barbizon dessinent à la pointe sur une plaque de verre fumé ou verni qu'ils utilisent comme négatif pour impressionner par contact un papier sensible. Mais cette pratique, qu'ils appellent le « cliché-verre », est encore proche des méthodes picturales. Deux des inventeurs de la photographie, William Henry Fox Talbot en Angleterre et Hippolyte Bayard en France, « copient » des végétaux en les déposant directement sur le papier sensible. Aussi simples soient-elles, ces reproductions doivent pourtant être considérées comme d'authentiques photogrammes.
Les trois artistes qui explorèrent le plus systématiquement les potentialités créatives du photogramme sont Christian Schad, Man Ray et László Moholy-Nagy. En 1918, le peintre d'origine allemande Christian Schad, installé à Zurich où il fréquente les premiers cercles dadaïstes, entrevoit les possibilités de la photographie sans caméra. Il dépose sur la feuille sensible des papiers découpés, non plus pour les copier servilement, mais afin d'en tirer des images neuves. Aux yeux des dadaïstes, ces images ont plus d'une séduction, ne se confondant ni avec la peinture, puisqu'elles sont obtenues automatiquement, ni avec la photographie, puisqu'elles sont affranchies de la réalité ; l'effet créé est en grande partie aléatoire et surtout absolument nouveau. Ces qualités suffisent pour plaire à Tristan Tzara, qui les appelle, en jouant sur les mots, des « shadographies » (de l'anglais shadow, ombre), et qui signera le texte accompagnant leur première publication dans le numéro 7 de Dada (1918).
Trois ans plus tard, Man Ray redécouvre le procédé par hasard en essayant de développer un papier qu'il avait oublié d'impressionner. Constatant son erreur, il abandonne la feuille dans le bain de révélateur où se trouvaient également une éprouvette et un thermomètre, et allume la lumière. Aussitôt, une image se forme, qui est à la fois l'ombre projetée des objets sur le papier et leur trace déformée, à cause de la[...]
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Écrit par
- Marc-Emmanuel MÉLON : professeur de communication à l'Institut supérieur des sciences sociales et pédagogiques de Marcinelle, Belgique, chargé de cours à l'université de Liège
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