PHOTOGRAPHIE (art) Le statut esthétique
Le statut esthétique de la photographie apparaît d'une exceptionnelle ambiguïté. Elle n'a donné lieu à aucune grande théorie générale, mais elle est le fait autant d'esthéticiens que de praticiens professionnels. L'expression même de « belle photo », péjorative chez beaucoup d'entre eux, reste laudative chez les amateurs, qui – fait exceptionnel en matière d'art – adoptent chaque jour davantage cette activité.
« Un rayon de soleil fortuit ou une ombre à travers le chemin, un chêne desséché par le temps, une pierre couverte de mousse peuvent éveiller une série de pensées, de sensations et d'imaginations pittoresques » : cette phrase du pionnier William H. F. Talbot (1800-1877), qui découvrit l'image latente – comparée par Paul Valéry à l'émergence d'un vers parfait hors du « langage intérieur » –, pourrait être contresignée par tout amateur doué de quelque sensibilité. L'« art » n'est alors que le prétexte à des « associations d'idées » purement individuelles. Tandis que le cinéma, qui, aux yeux du profane, passa longtemps pour n'être que de la « photo en mouvement », possède déjà, et depuis longtemps, son statut d'art, pour lequel on inventa dès 1920 une « dixième muse », la photographie, après un siècle et demi d'existence, reste marquée des tares de sa naissance.
Premières discussions, premiers errements
On peut énumérer trois des tares qui ont marqué les débuts de la photographie : la contradiction entre ses origines de caractère expérimental, scientifique, en tout cas exemptes d'idées préconçues sur le rôle du « daguerréotype », et les appétits de « réalisme » au sens vague, appétits extra-artistiques du public ; l'épuisante controverse qui s'instaura d'emblée pour savoir a priori si la photographie était un art, si elle détruisait l'art comme l'affirma le peintre Paul Delaroche dès 1839 ou si elle pouvait subsister sans se définir entre ces deux positions ; enfin le fait que, passée la période « héroïque » dont on ne parlera que brièvement, les photographes eux-mêmes n'ont jamais, sauf exception rarissime, cherché à se définir par-delà quelques proclamations vagues et peu efficaces d'« originalité », jusqu'à une époque très récente (qui a d'ailleurs coïncidé avec leur moindre chance de se faire reconnaître comme artistes, en raison de l'accroissement foudroyant du nombre des amateurs). Il est notable que ce phénomène se soit produit à l'intérieur du marché régi par les lois du capitalisme dans le temps où, même plus coûteuse, l'industrie cinématographique réussissait à se faire accepter en tant qu'art, tout en obéissant plus étroitement encore aux lois de ce même marché.
Il est symptomatique que le plus ancien daguerréotype subsistant aujourd'hui soit une « œuvre d'art » au deuxième degré ; Jacques Daguerre y a disposé des éléments qui symbolisent assez bien le bagage culturel qui pouvait être le sien, en dehors des préoccupations purement scientifiques : une imitation de nymphe antique, deux têtes d'angelots, une bouteille enveloppée d'osier, rappelant l'artisanat du pays artistique par excellence, l'Italie, une lithographie sentimentale et deux autres plâtres. Cette « nature morte », indépendamment des goûts qu'elle révèle chez son auteur, ouvre une voie qui pendant longtemps ne fut guère fréquentée.
En effet, dès le début de la photographie proprement dite, c'est le portrait qui triomphe. Il est essentiel de se rappeler qu'il submergea littéralement toutes les autres tentatives de développement de la photographie pendant plusieurs années. Cela signifie, sur le plan esthétique, un désir de rivaliser avec les peintres de portraits, dont on sait aujourd'hui[...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Médias
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