PHOTOGRAPHIE (art) Le statut esthétique
La « fuite hors du réel »
À cette époque où sont posés les jalons de l'impressionnisme se produit une débauche d'effets de flou, de retouches, de traitements chimiques compliqués, qui ont tous pour but avoué ou inavoué de permettre à la photographie de rivaliser avec la peinture. La vogue du nouvel art suit la courbe de l'évolution générale de la société : au positivisme triomphant succède une certaine « évasion » vers des fantasmes historiques ou symboliques qui servent de contrepoids à de nouveaux problèmes. En même temps que d'innombrables photographes noient leurs modèles dans les brumes plus ou moins sophistiquées où, dira Bernard Shaw en 1902, « les figures deviennent soudain indistinctes et non substantielles, d'une manière aussi peu convaincante qu'irrationnelle », le modern style relayant l'impressionnisme, d'autres multiplient des ensembles capables de rivaliser avec ceux peints par Thomas Couture ou Ernest Meissonier. On représente à l'aide d'acteurs Don Quichotte dans sa bibliothèque, ou même des scènes allégoriques dans le goût des préraphaélites ; H. P. Robinson, dont les ouvrages théoriques (Picture Making by Photography) seront réédités jusqu'en 1916, n'a pas hésité à dessiner de vastes cartons, groupant plusieurs figures lourdement symboliques, avant de les réaliser dans son studio à l'aide de modèles vivants ; J. C. Strauss, en Allemagne fabrique du Frans Hals « sur commande » ; F. Boissonas, à Genève, pastiche (entre autres) Honoré Daumier ! En comparaison, l'érotisme sournois du révérend Charles Dodgson, alias Lewis Carroll, garde toute sa fraîcheur, si l'on songe que les modèles enfantins qu'il fit poser autour des thèmes d'Alice au pays des merveillesn'avaient souvent pour elles que le charme de leur âge. Il n'y a pas de solution de continuité entre son œuvre à demi légendaire (lui-même en détruisit la majeure partie) et, par-delà les photographies de « nus artistiques » laborieusement fabriqués depuis le daguerréotype, selon le goût de chaque génération, les recherches d'artistes authentiques tels que Hans Bellmer (La Poupée, 1936, série de variations), Man Ray, ou certains photographes anglo-américains, tel Bill Brandt. Grâce à eux, l'érotisme est devenu une authentique composante de l'esthétique de la lumière.
Ainsi, vers 1860-1900, aucun terrain de discussion ne s'offrait qui permît aux meilleurs photographes – en particulier les « documentaristes » parisiens – de s'affirmer comme artistes. Les recherches les plus intéressantes restent d'ordre scientifique (fusil chronophotographique d'Étienne Jules Marey, qui décompose le mouvement, annonçant le cinéma) ou exaspèrent la tendance à l'« imaginaire » (certains spirites « photographient » fantômes et ectoplasmes ; Auguste Strindberg fixe sur les plaques ses expériences d'alchimie grâce à la surimpression) dans le temps même où l'objectif, s'accrochant au télescope ou au microscope, révèle, par-delà le rôle utilitaire que Baudelaire lui assignait dans ces domaines, de nouvelles beautés « à l'état brut ».
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Médias
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