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PHOTOGRAPHIE (art) Le statut esthétique

La fin de la photographie-peinture

Bien qu'influencée aussi par le style des photographes britanniques, la photographie américaine avait eu son évolution propre, marquée notamment par un goût très vif des reportages, qui culmine avec les admirables documents sur la guerre de Sécession dus à Mathew Brady, Alexander Gardner et Timothy O'Sullivan, où les cinéastes de westerns viendront régulièrement rechercher des sources d'inspiration. Vers 1900 toutefois, le « style international » (exporté jusqu'au Japon) englobait la vérité documentaire dans la rhétorique des effets : la « matière » (papiers de luxe, retouches par suppression ou par adjonction de détails, etc.) primait sur la lumière. C'est l'époque où un esthéticien, Robert de La Sizeranne, s'écriait : « La photographie a dépassé les promesses de la science ; elle ne nous avait promis que de la vérité, elle nous a donné la beauté », confondant avec celle-ci une débauche de trucs (gomme bichromatée, encres grasses) qui pastichent le fusain, l'aquatinte ou encore le lavis.

Vers 1907, l'Américain Alfred Stieglitz rompit brutalement, grâce à une argumentation théorique précise, avec la photographie « artistique ». Ayant créé, dès 1902, un groupe dissident du Camera Club de New York, il condamne non seulement la retouche, mais l'agrandissement : il travaille avec un appareil portatif, même dans les conditions les plus difficiles (photos prises dans la neige). En 1910, une galerie d'art ouvre ses portes à son groupe ( Photo-Secession), cependant que Stieglitz joue un rôle de premier plan dans la diffusion des peintures cubistes aux États-Unis : on a pu dire qu'en photographie il a parfois entrepris de faire du cubisme d'après nature. Le choix de sujets apparemment déshumanisés, l'importance du cadrage, l'introduction d'éléments répétitifs destinés à favoriser l'impression de rythme ou au contraire la juxtaposition (par exemple de grosses lettres d'affiche et un angle de mur lépreux) expliquent que Picasso ait, à son tour, reconnu une recherche proche de la sienne dans son œuvre. Mais il ne s'agit pas d'une banale transposition des vues cubistes par un autre médium : en 1921, Stieglitz part à la conquête de la photographie « pure » qui repose, à chaque épreuve, à chaque « plan », le même problème : « un maximum de détails pour un maximum de simplification », qu'il résout dans un sens moins « réaliste », comme on pourrait le croire, que platonicien. Il photographie des nuages qu'il appelle des « chants du ciel » et des « équivalents d'émotion ».

The White Fence, P. Strand - crédits : By courtesy of Paul Strand

The White Fence, P. Strand

Le groupe Photo-Secession n'eut que quelques années d'existence, mais c'est grâce à lui que l'originalité de la photographie comme médium artistique a pu être affirmée sans retour. Indépendamment de leurs préoccupations particulières, les artistes qui la composèrent introduisirent en effet le problème de l'illusion de réalité, problème aujourd'hui au centre de nombreuses discussions des théoriciens du cinéma. Leur activité se situait dans un champ où ce problème n'était pas encombré par les données concernant la « continuité » dans l'espace et dans le temps, qui affectent aujourd'hui la critique cinématographique. Par contre, il est notable que Paul Strand, le photographe le plus doué qu'ait révélé vers 1916 la Photo-Secession, soit passé dans une deuxième partie de sa carrière à la coréalisation de films. Il y apporta la même puissance, le même parti pris d'atteindre l'essentiel à partir d'un détail banal ou quasi abstrait : « L'objectivité est la véritable essence de la photographie, sa contribution à l'art et aussi sa limitation. Le problème du photographe est de voir clairement les limites et les potentialités de son médium. » Avec lui la[...]

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Médias

<it>Le Cabinet des curiosités</it>, Daguerre - crédits : Louis Jacques Daguerre/ Hulton Archive/ Getty Images

Le Cabinet des curiosités, Daguerre

Atelier de William Henry Fox Talbot - crédits : William Henry Fox Talbot/ Hulton Archive/ Getty Images

Atelier de William Henry Fox Talbot

Stéréoscope - crédits : Cook/ Hulton Archive/ Getty Images

Stéréoscope

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