PHOTOGRAPHIE (art) Le statut esthétique
Les tendances suivantes
Après le reflux de la « photographie pure », une simplification commode consistait à classer les photographies en « abstraites » et « réalistes ». Mais cette simplification violait la relation phénoménologique inévitable : il n'y a pas deux rapports différents de l'œil (ou de l'objectif) à un objet quel qu'il soit. Tout au plus se vit-il supplanté par sa propre image à raison de la « déformation » de celle-ci. Beaucoup de peintres modernes ont subi l'influence des « mises en pages » de photographes pourtant réalistes, mais qui découpent l'espace de manière inattendue. Comme le notait René Huyghe vers 1950, l'objectif en « œil de poisson » (eye-fish) réalise immédiatement la perspective sphérique qui exigeait jadis des peintres de laborieux calculs et des raccourcis artificieux.
La dispersion des tendances actuelles s'est accentuée sous l'effet d'événements extra-artistiques. Le premier se place avant la Seconde Guerre mondiale : c'est la naissance du grand reportage, avec toutes les servitudes qu'il entraîne et aussi ses possibilités de « retour au sujet » plus ou moins à sensation, mais aussi le cas échéant profondément humain, tel que l'imposa Robert Capa (1913-1954), témoin des tragédies de notre temps.
Un peu plus tard, du moins en ce qui concerne la réflexion des photographes sur leur activité, on assiste au développement de la photographie dite scientifique, qui avait déjà modifié la sensibilité esthétique en révélant des aspects inconnus de l'Univers. Celle-ci permit la création (au prix de légers trucages, comme la « prise continue ») d'images qui, par leur aspect insolite, acquièrent une valeur esthétique. Plus récemment, elle a laissé jouer l'imagination de quelques créateurs, à partir de structures étudiées sous tous les aspects, telles les « aventures de matières » de Jean-Pierre Sudre (1962). Il faut évoquer, enfin, la poussée de « subjectivisme » qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a provoqué les tentatives d' Otto Steinert (1915-1978) créant en 1949 le groupe Fotoform (il se flattait d'agrandir le champ de la photographie et même d'en inverser la démarche en « remontant » de l'analyse psychologique jusqu'à l'image) et celles, franchement irrationnelles, de Minor White (1908-1976), dont les « mirages » communiquent à des formes rares des significations inattendues et ont influencé tout un groupe de photographes américains qui croient aux possibilités « magiques » de l'objectif.
La couleur aurait pu paraître un élément déterminant de renouvellement des esthétiques photographiques. Assez curieusement, les artistes ont été longtemps réticents à son égard, l'accusant de « fausser » les rapports purement plastiques suggérés ou soulignés par le « noir et blanc ». Plus spectaculaires que vraiment concluants, les Essays d'Erwin Fieger (né en 1913) signalent une tentative extrême pour violer ce tabou, à l'aide de recettes « fantasmagoriques » qui ignorent délibérément la réalité. Peut-être s'agit-il d'un faux problème, dû à une sorte de timidité devant un ensemble de processus qui, annoncés dès 1869 et indépendamment l'un de l'autre par Charles Cros et Louis Ducos de Hauron, n'ont été mis au point avec des chances d'infaillibilité que dans la période 1940-1950. L'exemple de Gjon Mili (1904-1984) montre que le passage d'une « technique » à l'autre ne modifie pas ipso facto une conception esthétique. Lorsqu'il photographie en couleurs le bond d'une grenouille dans l'eau, ou Picasso dessinant dans l'air avec une lampe électrique, ou encore les « poses successives » d'une danseuse en mouvement, il continue à vouloir « contredire » le mot de Brassaï : « La[...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Médias
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