PHOTOGRAPHIE (art) Le statut esthétique
Sociologie de la photographie
On a déjà vu combien le développement de la photographie était lié à l'évolution du capitalisme en France et en Angleterre. Aussi n'est-il pas étonnant que les premiers signes d'un changement de conception se soient produits aux États-Unis en une période où ce pays vivait sa première grande crise. Le but de Brady et de ses adjoints était d'ailleurs caractéristique : montrer la guerre pour éviter son retour. Cette tradition persista et grandit aux États-Unis. Vers 1900, ce sont des enquêtes photographiques qui amènent la destruction des taudis de New York. Roosevelt fera appel à des photographes renommés pour appuyer certaines de ses campagnes sociales. Entre-temps, l'exemple aura été suivi par l'U.R.S.S., sur une échelle quantitativement moindre mais esthétiquement aussi intéressante, surtout en raison de l'influence des futuristes et des modernistes pendant les premières années qui ont suivi la révolution d'Octobre. Cet emploi de la photographie comme outil social a été ultérieurement victime de sa diffusion même et des conditions d'exploitation commerciale du grand reportage. Il faut cependant rappeler la magnifique exposition de « sociologie planétaire » organisée à New York par un vétéran de la Photo-Secession, Edward Steichen, en 1955 : The Family of Man. Il y sélectionna, sur deux millions d'épreuves reçues de 68 pays, 503 photos qui constituent le panorama de l'humanité contemporaine, « condamnée » à l'unité et à la fraternité.
On peut envisager la sociologie de la photographie en sens inverse, c'est-à-dire en prenant le point de vue du public. On a remarqué que la demande avait été très longtemps limitée au portrait, auquel s'ajoutaient des rudiments d'information (portraits de célébrités, vues « pittoresques ») et certaines exigences sociales (photos de groupe). Cette demande ne pouvait pas en principe avoir d'issue artistique, et elle a persisté en entretenant un artisanat ; mais elle s'est d'autre part totalement modifiée sous l'influence d'autres activités, essentiellement la publicité et la mode : un cas typique est celui de Richard Avedon qui, grand photographe de mode, est devenu un portraitiste tour à tour émouvant (Marilyn Monroe) et extrêmement féroce pour certains de ses modèles appartenant à la « haute société ».
Pendant longtemps il n'y a pas eu en Europe de demande très réelle en ce qui concernait la photographie conçue comme un art indépendant (épreuves uniques ou à tirage limité). C'est probablement parce que chacun pense pouvoir être photographe et que le matériel nécessaire pour l'être s'acquiert aisément : dès 1968, plus de la moitié des foyers français disposaient d'un appareil. Réciproquement, la plupart des professionnels, après avoir dû supporter de voir des illustrations dessinées ou gravées « d'après une photographie » par préjugé pseudo-artistique, acceptaient en règle générale de vendre leurs photographies à des agences qui ne mentionnaient pas toujours leur signature ; mais depuis les années 1980 les photographies d'agence ne sont plus anonymes. Un nombre croissant d'entre eux tentent de devenir leurs propres « producteurs » pour maintenir leur copyright sur leurs œuvres.
L'enseignement de la photographie existe aux États-Unis, mais il est presque partout ailleurs absent ou embryonnaire. Là encore, on peut constater que l'assimilation, indéfendable en saine logique, du cinéma avec la photographie trouve une justification pratique dans le fait que la plupart des photographes amateurs tendent à se transformer en cinéastes amateurs.
Le statut empirique de la fixation de l'instant « privilégié » – cet instant fût-il un fragment d'objet – est repris et nié par le désir de fixer « à la fois »[...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Médias
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