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PHOTOGRAPHIE (art) Photographie et peinture

La vision du peintre précède celle du photographe

Le Brick, G. Le Gray - crédits : Gustave Le Gray/ Hulton Archive/ Getty Images

Le Brick, G. Le Gray

D'ailleurs, les peintres qui se convertissent vers 1850 à la photographie ne tardent pas à faire intervenir la retouche pour lui permettre de restituer des effets dont elle est encore incapable : Nègre arrange ses poses pour donner l'illusion de l'instantané ou redessine les négatifs pour renforcer les contrastes de valeurs. Le Gray superpose deux négatifs pour pouvoir charger le ciel de nuages et obtenir des effets de lumière qu'on trouve dans les marines de Courbet ou dans les premières œuvres de Monet.

<it>Le Déjeuner sur l'herbe</it>, É. Manet - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Le Déjeuner sur l'herbe, É. Manet

Même au niveau du sujet académique du nu, il faudra attendre Manet, le Déjeuner sur l'herbe (1863) et Olympia (1865), pour trouver des figures identifiables et inscrites dans le temps de la modernité. Bien plus que les photographes n'osent encore le faire, Manet enregistre, témoigne, montre ; il refuse d'altérer sentimentalement ou intellectuellement ce qui lui est donné à voir. Son naturalisme conduit à une simplification de la peinture en la limitant à une traduction percutante des effets observés.

Guerre de Crimée, R. Fenton - crédits : Roger Fenton/ Getty Images

Guerre de Crimée, R. Fenton

Dans le sens inverse, l'appropriation par les éditeurs, vers 1850, de la reproduction photographique élargit et déplace le champ de la connaissance et de la conscience pour modifier la valeur traditionnelle de l'expérience. Jusqu'ici, chacun ne connaissait réellement que ce qu'il avait vécu, éprouvé avec ses facultés personnelles ; au contraire, la civilisation de l'image qui commence permet déjà d'aller à la rencontre de paysages inaccessibles au plus grand nombre ou d'explorer ce qui échappe aux limites du regard : l'infiniment grand ou l'infiniment petit. Désormais, on aura vu sans avoir vécu, avec toutes les conséquences que cela peut avoir ; la photographie n'étant qu'un code parmi d'autres, ramenant tout à la même échelle et se limitant à la description de l'apparence. Parallèlement, cette surproduction photographique incline le regard vers des démarches plus analytiques. C'est l'échec économique et politique des premiers reportages de guerre (Roger Fenton à la guerre de Crimée, 1855, ou Mathew B. Brady à la guerre de Sécession) qui laisse mieux percevoir les limites de la photographie ; elle est alors trop lente et trop lourde. Baldus, qui est chargé d'illustrer l'itinéraire du chemin de fer entre Paris et Boulogne, est encore très loin dans ses photographies de l'instantanéité de la vision d'un impressionniste comme Monet, qui cherche moins à capter des instantanés que la manière dont le rythme des saisons et de la lumière renouvelle l'apparence : la réalité n'est pas une, mais multiple.

Parce que Degas s'intéressait à la photographie – il en collectionnait et l'a lui-même pratiquée, mais seulement dans les années 1890 –, on a parlé avec légèreté de l'influence que celle-ci aurait eue sur sa vision de peintre sans vérifier historiquement les concordances et les faits. En réalité, Degas invente la vision photographique plus qu'il ne la suit. En effet, jusque dans les années 1865, les personnages représentés dans les photographies traditionnelles posent toujours, et c'est seulement dans les années 1860 et exclusivement dans les images stéréoscopiques que les badauds qui traversent les rues peuvent laisser une image suffisamment nette sur l'épreuve sur verre (l'éloignement entre l'objet et l'appareil, le faible format des plaques stéréoscopiques et la petite distance focale en donnent l'explication). Or Degas va beaucoup plus loin en changeant totalement le rapport entre regardant et regardé, entre sujet et objet. Il est le premier à voir le mouvement en étant lui-même en mouvement. Non seulement il fixe le mouvement dès 1872 – soit avant Eadweard Muybridge ou Étienne-Jules Marey –,[...]

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Écrit par

  • : doyen de l'École supérieure d'art visuel, Genève, chargé de cours, département histoire de l'art, université de Genève

Classification

Médias

Paysage à Saint-Loup-de-Varennes, N. Niépce - crédits : Joseph Niepce/ Getty Images

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Atelier de William Henry Fox Talbot - crédits : William Henry Fox Talbot/ Hulton Archive/ Getty Images

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